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Chapeau

103 II 240


41. Arrêt de la Ire Cour civile du 15 novembre 1977 dans la cause Jeanneret contre commune du Landeron

Regeste

Art. 58 CO. Responsabilité du propriétaire d'une route pour défaut de signalisation.
Responsabilité de la commune propriétaire d'une route comportant un passage sous un tunnel voûté d'une hauteur inférieure à 4 m, pour avoir omis de placer le signal "hauteur maximale" (art. 19 al. 2, art. 14 al. 3 OSR) (consid. 2 et consid. 3). Rapport de causalité adéquate entre ce défaut de signalisation et le dommage causé à une remorque dont le toit a heurté le tunnel (consid. 4). Faute concurrente du conducteur (consid. 5).

Faits à partir de page 241

BGE 103 II 240 S. 241
William Jeanneret, qui est forain, exploite notamment une roulotte équipée pour le tir au fusil à air comprimé. Cette roulotte est large de 2 m 43; la hauteur maximum du toit, légèrement incliné, ne dépasse pas 3 m 40.
Le 22 septembre 1975, Jeanneret s'est rendu au Landeron en remorquant cette roulotte au moyen d'un camion. Pénétrant dans le bourg par le nord, il a emprunté la route qui passe sous deux tunnels en voûte percés dans d'anciennes tours de l'enceinte. Auparavant, il s'était rendu sur place en auto pour voir si la hauteur des tunnels était indiquée. En l'absence d'une signalisation de hauteur, il a pensé que son convoi pouvait passer. Lors de la traversée du premier tunnel, la partie la plus haute de la roulotte a heurté le bord gauche de la voûte et a été gravement endommagée.
Le point de choc se situe à une hauteur de 3 m 34 à partir de la chaussée. Celle-ci est large de 4 m 06, et le sommet de la voûte se trouve à 3 m 89 du milieu de la route. Il n'y avait pas de signal "hauteur maximale" (No 215) devant le passage ni comme signal avancé.
Jeanneret a rendu la commune du Landeron responsable du dommage causé à sa remorque, pour avoir omis de placer un signal indiquant la hauteur du tunnel. La commune a contesté sa responsabilité.
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Jeanneret a ouvert action contre la commune du Landeron en paiement de 20'000 fr. avec intérêt à 5% dès le dépôt de la demande, le 14 septembre 1976.
La défenderesse a conclu à libération.
Le Tribunal cantonal neuchâtelois a rejeté la demande par jugement du 4 juillet 1977, en estimant que l'accident était imputable à la faute exclusive du demandeur.
Jeanneret recourt en réforme au Tribunal fédéral en reprenant ses conclusions de première instance.
L'intimée propose le rejet du recours.

Considérants

Considérant en droit:

1. Le Tribunal cantonal a examiné l'action, fondée sur les art. 41 ss CO, d'une part au regard de la loi neuchâteloise du 2 décembre 1903 sur la responsabilité civile de l'Etat et des communes, loi qui renvoie pour les actions civiles aux règles du Code des obligations, d'autre part au point de vue de l'art. 58 CO. Il a nié la responsabilité de la défenderesse selon cette dernière disposition en considérant que la "faute grave largement prépondérante" commise par le demandeur avait "interrompu le lien de causalité entre le dommage et le défaut de signalisation". Le demandeur conteste en instance de réforme l'interruption du lien de causalité; il fait valoir que la faute éventuelle qu'il a pu commettre ne saurait être tenue pour la seule cause de l'accident.
L'application du droit cantonal sur la responsabilité civile de l'Etat et des communes ne peut pas être revue en instance de réforme (art. 43 al. 1, 55 al. 1 litt. c OJ). La responsabilité de la défenderesse doit en revanche être examinée sous l'angle des art. 41 ss, notamment 58 CO.

2. a) Une route avec ses parties intégrantes est un ouvrage au sens de l'art. 58 CO (ATF 100 II 137 consid. 2 et les références citées; cf. aussi ATF 102 II 345). En l'espèce, les passages voûtés percés dans les anciennes tours de l'enceinte font partie intégrante de la route donnant accès au bourg du Landeron.
Le jugement attaqué ne constate pas expressément que la commune défenderesse est propriétaire de l'ouvrage en question. Mais le Tribunal cantonal l'admet implicitement, en examinant si la responsabilité de la défenderesse est engagée
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au regard de l'art. 58 CO en raison du défaut de signalisation dont elle répond, et en niant cette responsabilité parce que le lien de causalité entre le dommage et ce défaut de signalisation aurait été interrompu et que la route ne présenterait pas d'autres défauts au sens de l'art. 58. La défenderesse n'a d'ailleurs jamais contesté être propriétaire de la route, qu'elle qualifie elle-même de route communale, et a admis être responsable de la signalisation routière sur cette partie du territoire communal. Elle répond donc du dommage subi par le demandeur selon l'art. 58 CO, si ce dommage a été causé par un vice de construction ou un défaut d'entretien de l'ouvrage.
b) Une route, comme tout autre ouvrage, doit être construite et aménagée de manière à offrir une sécurité suffisante aux usagers eu égard à la circulation à laquelle elle est affectée (ATF 102 II 345 s. consid. 1 c). Si elle présente des obstacles propres à entraver la circulation, ils doivent être dûment signalés (ATF 84 II 266). L'absence d'un signal indispensable peut constituer un défaut d'entretien au sens de l'art. 58 CO (arrêt non publié Bürgi c. Etat du Valais, du 21 octobre 1942, consid. 2; OFTINGER, Schweizerisches Haftpflichtrecht II/1, pp. 42, 82-84).

3. L'art. 19 al. 2 OSR dispose ce qui suit:
"Le signal "Hauteur maximale" (215) est placé avant les passages souterrains, les tunnels, les galeries, les ponts couverts, etc., et interdit la circulation des véhicules qui, chargement compris, dépassent la hauteur indiquée. Il est indispensable là où l'espace n'est pas suffisant pour des véhicules de 4 m de hauteur. Ce signal est placé devant l'obstacle même ou comme signal avancé. Au surplus, les dispositions concernant les signaux de danger s'appliquent à l'installation de ce signal."
Selon BUSSY et RUSCONI (Code suisse de la circulation routière annoté, n. 2 ad art. 19 OSR), le signal "hauteur maximale", No 215, n'exige pas une ordonnance préalable des autorités et doit fixer en général une valeur inférieure de 20 cm à la hauteur effective du passage, selon la norme 640 840 de l'Union suisse des professionnels de la route sur le placement des signaux routiers, de mai 1971, norme qui a été approuvée par le Département fédéral de justice et police (art. 74 al. 3 OSR).
La hauteur du passage litigieux n'étant que de 3 m 89 à partir du milieu approximatif de la chaussée jusqu'au point le
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plus élevé de la voûte, il était exclu que des véhicules de 4 m de hauteur pussent emprunter ce passage, et la défenderesse était tenue de placer le signal "hauteur maximale". Elle devait d'autre part, selon l'art. 14 al. 3 OSR, poser un signal avancé annonçant la limitation de hauteur assez tôt pour permettre aux conducteurs d'emprunter une déviation (cf. en outre le texte allemand de l'art. 19 al. 2 OSR, aux termes duquel le signal No 215 "steht beim Hindernis selbst und als Vorsignal"). Le Tribunal cantonal considère avec raison que l'objection de la défenderesse, selon laquelle elle n'avait pas placé le signal 215 pour des raisons d'esthétique, ne résiste pas à l'examen: d'une part, elle avait posé sur le mur d'enceinte le signal 123 (enfants); d'autre part, cette objection est sans pertinence quant à l'obligation de placer un signal avancé.
La défenderesse a ainsi contrevenu de manière manifeste aux art. 19 al. 2 et 14 al. 3 OSR.

4. a) La cour cantonale constate que le demandeur a subi un dommage en empruntant le passage voûté aménagé en tunnel dans le mur d'enceinte. Elle admet que le dommage procède de l'utilisation de ce passage, dont la hauteur maximale n'était pas signalée, et qu'il y a dès lors en principe un rapport de causalité naturelle entre le préjudice subi par le demandeur et le défaut de signalisation imputable à la défenderesse. Mais, selon les premiers juges, "cette causalité paraît douteuse". A leur avis, "il est vraisemblable qu'en présence du signal le demandeur ne se serait pas comporté d'une autre manière qu'il l'a fait pour franchir le tunnel, préalablement reconnu et permettant le passage d'un convoi ayant les dimensions de celui du demandeur". Il s'agit là d'une supposition et non d'une constatation liant le Tribunal fédéral. Le jugement déféré ne mentionne aucun indice quelconque qui pourrait fonder cette supposition. Quoi qu'il en soit, le Tribunal cantonal admet la causalité naturelle entre le manque de signalisation de la hauteur maximale et le dommage causé au demandeur, quand bien même elle lui paraît douteuse. Cette constatation concernant la causalité naturelle lie le Tribunal fédéral saisi d'un recours en réforme (ATF 101 II 73 consid. 3, ATF 98 II 291, ATF 96 II 37, 395).
b) Les premiers juges estiment avec raison que la causalité naturelle ne suffit pas pour que la responsabilité de la défenderesse soit engagée; il faut que la causalité soit adéquate. Selon
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la jurisprudence (ATF 101 II 73 consid. 3 a et les références), la causalité est adéquate si, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, le fait considéré était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s'est produit, la survenance de ce résultat paraissant de façon générale favorisée par une telle circonstance.
Le Tribunal cantonal considère que le demandeur, qui connaissait les lieux, est entré dans le passage litigieux trop à gauche, du côté où sa roulotte était la plus haute, à une vitesse inadaptée à la configuration des lieux, que le convoi avait des dimensions lui permettant de franchir ce passage et que, partant, l'accident est imputable à la faute du conducteur résultant de cette fausse manoeuvre. Il admet que cette faute est grave, qu'elle est largement prépondérante et qu'elle interrompt le lien de causalité adéquate entre le dommage subi par le demandeur et le défaut de signalisation: étant donné les dimensions du passage et celles du convoi, l'omission du signal 215 n'était pas de nature à causer l'accident si le demandeur avait circulé en prenant les précautions nécessaires.
c) Cette appréciation au sujet de la causalité adéquate relève du droit et peut dès lors être revue par le Tribunal fédéral en instance de réforme (ATF 101 II 73 consid. 3, 98 II 291, 96 II 396).
Selon les constations du jugement attaqué, le demandeur avait déjà traversé le passage litigieux avec une autre installation démontable chargée sur un camion, mais non avec la remorque en cause. Avant de venir emprunter le même passage avec cette remorque, il s'était rendu sur place en voiture pour voir si la hauteur de la porte de la ville était indiquée. En l'absence d'une signalisation de hauteur maximale, il a pensé que son convoi pouvait passer.
Comme aucune limitation de hauteur n'était indiquée au moyen du signal obligatoire 215, le demandeur était en droit d'admettre qu'un véhicule de 4 m de hauteur et d'une largeur normale (2 m 30 selon l'art. 9 al. 2 LCR; 2 m 50 au maximum d'après l'art. 64 OCR) pouvait emprunter le passage litigieux.
Or d'après le plan de ce passage, comportant des mesures précises, versé au dossier cantonal par la défenderesse, un véhicule de 2 m 30 de largeur, circulant au milieu de la chaussée, ne pouvait pas passer s'il avait une hauteur
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de 3 m 57, car il heurtait alors la voûte. Compte tenu d'une marge de sécurité minimum, la hauteur autorisée devait être inférieure à 3 m 40, et la circulation interdite à des véhicules atteignant cette hauteur, ce qui était le cas de la remorque du demandeur sur un de ses côtés. Le fait que le heurt du point le plus élevé de la remorque avec le côté gauche de la voûte ne se serait pas produit si le demandeur avait circulé plus à droite ne permet pas de considérer qu'il ait commis une faute interrompant le lien de causalité adéquate. Vu l'absence de tout signal prescrivant la hauteur maximale, le demandeur était en droit d'admettre qu'il pouvait passer sans encombre. Il est en effet difficile d'apprécier à vue d'oeil la hauteur réelle d'un passage voûté. D'autre part, la présence d'un cycliste ou d'un piéton dans le passage litigieux pouvait obliger le demandeur à porter son véhicule sur la gauche dans la mesure nécessaire. Quant à la vitesse de 10-12 km/h à laquelle le demandeur a traversé ce passage, elle n'était pas manifestement inadaptée aux conditions de la route du moment que le demandeur était fondé à admettre que la hauteur était suffisante.
D'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, le défaut de signalisation imputable à la défenderesse, soit l'omission de placer le signal 215 indiquant une hauteur maximale inférieure à 3 m 40, était propre à entraîner la collision de la remorque du demandeur avec la voûte et, partant, à causer le dommage qui s'est produit. La responsabilité de la défenderesse est dès lors engagée selon l'art. 58 CO.

5. Le demandeur n'a pas exercé l'attention et la prudence que commandaient les circonstances. S'il était fondé à admettre, vu l'absence de tout signal de hauteur maximale, que son véhicule pouvait franchir le passage litigieux, la configuration même des lieux - hauteur apparente de la voûte, légère déviation par rapport à l'axe de la route -, ainsi que les caractéristiques de la roulotte devaient l'inciter à aborder ce passage avec une vigilance particulière. La hauteur du tunnel et de la remorque n'étant pas uniformes, il devait s'engager de manière à bénéficier de la hauteur maximum, pour la partie la plus élevée de son véhicule. Or il ne l'a pas fait. Selon les constatations du jugement attaqué, la remorque pouvait passer: "Il restait au niveau du point de choc, de part et d'autre de la roulotte, une distance de 25 cm à gauche et à
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droite, compte tenu du rétrécissement de la voûte à cet endroit-là. Au même niveau, c'est-à-dire à celui du point de choc, la partie la plus élevée de la roulotte, à supposer que celle-ci occupât le milieu de la chaussée, se trouvait, à la verticale, à une distance de 20 cm environ de la voûte et de 55 cm à son sommet." En pénétrant dans le tunnel trop à gauche, soit du côté précisément où sa roulotte était la plus haute, le demandeur a contribué par sa faute à provoquer l'accident. La reconnaissance à laquelle il avait procédé avant celui-ci et l'absence d'un signal de hauteur maximale ne le dispensaient pas d'exercer l'attention et de faire preuve de la prudence dictées par les circonstances. Or il n'a pas ralenti avant d'aborder ce passage délicat.
Le demandeur répond ainsi d'une faute concurrente, qui justifie la réduction d'un tiers de la responsabilité de la défenderesse, selon l'art. 44 al. 1 CO.

6. Le jugement attaqué ne contient aucune constatation ni ne fournit aucun élément d'appréciation permettant au Tribunal fédéral de fixer le dommage. Il doit dès lors être annulé, et la cause renvoyée à la juridiction cantonale pour qu'elle détermine le dommage et statue à nouveau.

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Etat de fait

Considérants 1 2 3 4 5 6

références

ATF: 101 II 73, 102 II 345, 100 II 137, 84 II 266 suite...

Article: Art. 58 CO, art. 19 al. 2, art. 14 al. 3 OSR, art. 41 ss CO, art. 19 OSR suite...