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Chapeau

111 III 38


8. Arrêt de la Chambre des poursuites et des faillites du 15 août 1985 dans la cause I. Ltd en liquidation

Regeste

Séquestre des biens sis en Suisse d'un failli étranger.
1. Même si la jurisprudence reconnaît en Suisse certains effets d'une faillite prononcée à l'étranger, en l'état actuel du droit, le principe de la territorialité de la faillite continue à l'emporter. Le failli étranger ne peut dès lors s'opposer au séquestre opéré par un créancier sur ses biens sis en Suisse. Seule une collaboration étroite entre le failli et l'administration de la faillite peut, par des moyens de droit privé, ménager l'intégration dans la masse des biens qui se trouvent en Suisse (consid. 1).
2. Le créancier qui fait séquestrer les biens du failli en Suisse, après avoir produit sa créance dans la faillite ouverte à l'étranger, ne commet pas d'abus de droit. On ne saurait examiner si le droit étranger applicable à la faillite permet de rétablir l'égalité entre les créanciers qui se bornent à intervenir dans la faillite avec ceux qui ont su découvrir des biens qui échappent à la masse (consid. 2).
3. Le failli étranger peut-il agir indépendamment du liquidateur? (question non résolue en l'espèce) (consid. 3).

Faits à partir de page 39

BGE 111 III 38 S. 39
Par ordonnance du 28 novembre 1984, le Président du Tribunal de première instance de Genève a autorisé Banque C. à séquestrer les biens de I. Ltd en liquidation, à Guernsey, en main de la banque X, succursale de Genève, et de la banque Y à Genève, pour un montant de 3'879'304 fr. 65. L'ordonnance de séquestre a été exécutée le jour même par l'Office des poursuites de Genève. Le séquestre a porté à la banque Y, alors que la banque X n'a pas répondu. La poursuivante Banque C. a validé le séquestre par une poursuite qui a été frappée d'opposition par la poursuivie I. Ltd.
La poursuivie a en outre porté plainte contre l'exécution du séquestre en faisant valoir que sa faillite a été prononcée le 3 novembre 1983 et que la poursuivante a produit sa créance dans la faillite qui se déroule dans l'île de Guernsey dès avant sa requête de séquestre, que dès lors l'exécution du séquestre octroie un avantage indû à la poursuivante par rapport aux autres créanciers, et constitue un abus de droit.
Par arrêt du 5 juin 1985, l'Autorité de surveillance des offices de poursuite pour dettes et de faillite du canton de Genève a rejeté la plainte.
I. Ltd exerce en temps utile un recours à la Chambre des poursuites et des faillites du Tribunal fédéral en concluant à ce que l'exécution du séquestre du 28 novembre 1984 soit déclarée nulle et de nul effet. La recourante a en outre requis qu'effet suspensif soit octroyé à son recours, ce qui lui a été accordé par ordonnance présidentielle du 15 juillet 1985, en ce sens que les actes de poursuite postérieurs à la notification du commandement de payer en validation de séquestre sont suspendus jusqu'à droit connu sur le recours.
L'Office des poursuites de Genève s'est déterminé en se référant à son préavis à l'autorité cantonale de surveillance, soit implicitement en ce sens que la plainte et le recours sont mal fondés. L'intimée conclut au rejet du recours.
BGE 111 III 38 S. 40

Considérants

Considérant en droit:

1. Il est constant que la poursuivie a été déclarée en liquidation le 1er novembre 1983 par la Royal Court of the Island of Guernsey, ensuite d'une déclaration d'insolvabilité, et qu'un liquidateur lui a été désigné. Celui-ci a demandé le 7 novembre 1983 à Banque C. de lui indiquer la situation de la faillie auprès d'elle et de tenir à sa disposition les avoirs de I. Ltd. Le 30 janvier 1984, Banque C. a fait valoir sa prétention auprès du liquidateur. Elle a requis le séquestre litigieux le 27 octobre 1984.
A l'appui de son recours, I. Ltd invoque les art. 206, 197 et 199 LP. Elle affirme que les biens de la faillie à Genève sont tombés dans sa masse dès l'ouverture de la faillite, et qu'aucune poursuite ultérieure et notamment aucun séquestre ne pouvaient dès lors être exécutés. Selon la recourante, le fait que la faillite a été prononcée à l'étranger est sans pertinence, dès l'instant que le principe de l'universalité de la faillite doit l'emporter sur celui de la territorialité de cette forme d'exécution forcée.
Il est exact que l'évolution de la jurisprudence tend à reconnaître en Suisse certains effets d'une faillite prononcée à l'étranger (ATF 109 III 115 consid. 2a). Il a notamment été jugé dans l'arrêt cité qu'une masse en faillite étrangère a qualité pour agir en contestation de l'état de collocation dans une faillite suisse, tout au moins lorsqu'il n'y a pas de conflit d'intérêts entre les droits de la masse et ceux de la société étrangère en faillite, de ses créanciers ou actionnaires. A une autre occasion, le Tribunal fédéral a relevé que n'échappe pas à la critique le fait que, dans l'état actuel du droit, chaque créancier peut se ménager une position privilégiée par rapport aux autres créanciers, en faisant séquestrer les biens du failli qui se trouvent en Suisse (ATF 102 III 74 consid. 3a). Il n'en demeure pas moins que cette situation ne saurait être corrigée que par une modification de la loi (ibid. p. 76) et qu'en l'état actuel du droit, seule une collaboration étroite entre le failli et l'administration de la faillite peut, par des moyens de droit privé, ménager l'intégration dans la masse étrangère des biens qui se trouvent en Suisse (ibid. p. 77 consid. c). Il n'apparaît pas que dans la présente espèce la faillie ait entrepris quoi que ce soit pour faire transférer à son siège les biens lui appartenant qui ont été trouvés à Genève et sur lesquels l'intimée a obtenu un séquestre plus d'un an après le prononcé de la faillite.
BGE 111 III 38 S. 41
L'application intégrale du principe de l'universalité de la faillite n'irait au reste pas sans de grandes difficultés, qui se manifestent notamment dans les efforts déployés au sein de la CEE pour établir une convention relative à la faillite, aux concordats et aux procédures analogues (cf. DALLÈVES, Universalité et territorialité de la faillite dans la perspective de l'intégration européenne, in BlSchK 1973 p. 161 ss, notamment p. 166 ss). Ces difficultés découlent du fait que l'exécution forcée suppose une mainmise effective sur des éléments du patrimoine et implique que l'autorité puisse exercer concrètement cette mainmise (GILLIÉRON, Les étrangers et les biens des étrangers dans l'exécution forcée selon la loi fédérale, du 11 avril 1889, sur la poursuite pour dettes et la faillite, in: Les étrangers en Suisse, Recueil de travaux de l'Université de Lausanne 1982, p. 219). En raison de sa souveraineté, un Etat ne saurait tolérer qu'une autorité étrangère exerce en son propre nom cette mainmise sur des biens qui se trouvent sur son territoire et relèvent de sa souveraineté. Même lorsqu'un traité international prévoit l'exequatur d'une décision de faillite étrangère - ce qui n'est actuellement le cas pour l'ensemble de la Suisse que de la Convention, du 15 juin 1869, entre la Suisse et la France sur la compétence judiciaire et l'exécution des jugements en matière civile (art. 6 al. 2) -, il n'est pas admissible que le représentant de la faillite étrangère exerce des actes de contrainte directement sur le territoire suisse. Il ne peut que requérir l'entraide des autorités suisses (ATF 94 III 95 consid. 6c). Il en va de même lorsque s'applique la convention entre la Confédération suisse et la Couronne de Wurtemberg concernant la faillite et l'égalité de traitement des ressortissants des Etats contractants en matière de faillite, des 12 décembre 1825/13 mai 1826 (ATF 109 III 86 consid. 6).
Le projet de loi fédérale sur le droit international privé qui fait l'objet du message du Conseil fédéral du 10 novembre 1982 (FF 1983 I 257 ss) tient compte de cette nécessité de sauvegarder la souveraineté de la Suisse lors de l'exécution d'actes de contrainte dans le cours de la réalisation forcée, et singulièrement en matière de faillite (FF 1983 I p. 278). Aussi le projet maintient-il le principe de la territorialité et par conséquent de la pluralité des faillites, lors même qu'il prévoit l'exequatur du jugement de faillite étranger (art. 159). Il confie en effet les mesures de contrainte à pratiquer en Suisse à l'Office suisse des faillites du lieu où l'exequatur a été accordé en le chargeant de dresser l'inventaire des biens sis en Suisse (art. 163 al. 1) et l'état de
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collocation (art. 165) qui ne tient compte que des créances garanties par gage et de celles des créanciers domiciliés en Suisse des quatre premières classes de l'art. 219 LP (art. 165). C'est l'office suisse qui a seul compétence pour réaliser les biens appréhendés et pour en distribuer le produit, même éventuellement aux créanciers de cinquième classe, lorsque l'état de collocation étranger ne peut être l'objet de l'exequatur (art. 167).
Il faut dès lors considérer que l'évolution jurisprudentielle et les projets de lois ne permettent qu'une application restreinte du principe de l'universalité de la faillite et ne peuvent faire prévaloir ce principe contre le souci de la protection des créanciers suisses, ni contre la souveraineté de la Suisse (cf. DALLÈVES, Faillites internationales et droit suisse, in SJ 1978 p. 337 ss, 343 ss). La masse étrangère peut sans doute agir comme le ferait un privé devant les tribunaux suisses (ATF 109 III 117), mais elle ne peut y prendre comme telle des mesures de contrainte concernant l'inclusion dans sa masse de biens sis en Suisse. Elle est réduite à y procéder par des moyens de droit privé (ATF 102 III 77).
En l'espèce, il est constant que la recourante ne peut se fonder sur un traité international pour faire reconnaître en Suisse les effets de la faillite prononcée contre elle à Guernsey. Elle se borne à invoquer un droit désirable qui n'est pas en vigueur, pour soutenir que du seul fait que sa faillite a été prononcée à l'étranger, une mesure de contrainte, comme l'attraction dans sa masse de biens situés en Suisse, a effet immédiat en Suisse, en raison de la seule décision du juge de la faillite étranger. Elle ne démontre dès lors aucune violation du droit suisse que contrôle seule la chambre de céans (cf. GILLIÉRON, op.cit., p. 234). Son recours est dès lors mal fondé sur ce point.

2. La recourante se plaint en outre d'un abus de droit au sens de l'art. 2 al. 2 CC, en tant que Banque C. s'en prend d'une part aux biens de sa débitrice sis en Suisse et échappant à la masse en faillite de celle-ci, et qu'elle a d'autre part produit sa créance dans la faillite ouverte à l'étranger. Selon la recourante, l'intimée violerait de la sorte le principe de l'égalité entre les créanciers et adopterait un comportement contradictoire.
Ces critiques ne sont pas fondées. On ne saurait reprocher à la créancière de poursuivre le recouvrement de ses prétentions contre la débitrice en usant des voies de droit que lui offre la législation en vigueur. Le refus du séquestre en Suisse serait contraire à la loi
BGE 111 III 38 S. 43
(art. 271 al. 1 ch. 4 et 52 LP) et son admission ne saurait en soi comporter d'abus de droit (DALLÈVES, op.cit. in SJ 1978, p. 344 n. 24). C'est dans l'île de Guernsey seulement que la faillite est en vigueur et que les créanciers doivent être traités de façon égale. On ne saurait examiner, s'agissant du droit étranger, si la législation applicable à la faillite permet de rétablir l'égalité entre les créanciers qui se bornent à intervenir dans la faillite avec ceux qui ont su découvrir d'autres biens, en imputant sur les dividendes de ceux-ci dans la faillite les sommes qu'ils ont acquises par ailleurs. Une telle solution permettant de rétablir l'égalité ne paraît pas exclue d'emblée (cf. ATF 103 III 62; SCHAUB, Zur Problematik des internationalen Konkursrechts der Schweiz, in RDS 101/1982 I p. 42 n. 144).
Banque C. n'use pas d'un comportement contraire à la bonne foi en cherchant le recouvrement de sa créance par les moyens que lui offrent les diverses législations régissant les biens de sa débitrice. Elle n'a pas amené celle-ci à constituer des biens en Suisse pour se ménager de mauvaise foi un objet à son séquestre (ATF 105 III 19). Dans la mesure où la débitrice n'a pas pris des mesures de droit privé pour soumettre ses biens à l'étranger à sa faillite, il serait choquant de ne pas laisser ses créanciers avoir accès à de tels biens, en sorte qu'ils échappent entièrement à la réalisation forcée et demeurent à la disposition de la faillie (cf. SJ 1928 p. 55).

3. Le recours étant de toute façon mal fondé, il est inutile d'examiner si la recourante a, en vertu de son droit national, la capacité d'agir indépendamment du liquidateur qui lui a été désigné, et si en l'espèce elle agit par l'intermédiaire de ce liquidateur, ce qu'elle n'affirme pas.

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regeste: allemand français italien

Etat de fait

Considérants 1 2 3

références

ATF: 109 III 115, 102 III 74, 94 III 95, 109 III 86 suite...

Article: art. 206, 197 et 199 LP, art. 219 LP, art. 2 al. 2 CC, art. 271 al. 1 ch. 4 et 52 LP