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138 I 425


37. Extrait de l'arrêt de la Cour de droit pénal dans la cause X. contre Ministère public de la République et canton de Genève, Delieutraz et B. (recours en matière pénale)
6B_814/2011 du 30 août 2012

Regeste

Garantie d'un tribunal indépendant et impartial, motif de récusation, mandat d'amener; art. 30 al. 1 Cst., art. 6 par. 1 CEDH, art. 56 et 232 al. 1 CPP.
La décision du président de l'autorité d'appel de décerner un mandat d'amener lors des débats d'appel n'entraîne pas, pour ce motif, un cas de récusation, s'il participe ensuite à la décision sur le fond (consid. 4).

Faits à partir de page 426

BGE 138 I 425 S. 426

A. Par jugement du 3 mars 2011, le Tribunal correctionnel de la République et canton de Genève (ci-après: le Tribunal correctionnel) a acquitté X. de la prévention de lésions corporelles graves au détriment de la partie plaignante, B. En revanche, il l'a reconnu coupable de menaces au préjudice de C., ainsi que d'infraction à l'art. 116 al. 1 let. a LEtr (RS 142.20), l'a condamné à une peine pécuniaire de 360 jours-amende à 20 fr. le jour et a ordonné sa libération. Par ce même jugement, le Tribunal correctionnel a également condamné quatre coprévenus.

B. B., X. et ses quatre coprévenus ont chacun formé appel de ce jugement. Le Ministère public du canton de Genève (ci-après: le Ministère public) a quant à lui renoncé à faire appel et à déposer un appel joint.

B.a Agissant en qualité de direction de la procédure, le Président Jacques Delieutraz a, par ordonnance du 10 août 2011, notamment communiqué la composition de la juridiction d'appel, ordonné l'ouverture d'une procédure orale et cité les cinq coprévenus, la partie plaignante ainsi que le Ministère public à comparaître aux débats d'appel appointés aux 28 et 29 septembre 2011.

B.b Au cours de la première journée d'audience, le Président Jacques Delieutraz a constaté la présence de toutes les parties, procédé à l'ouverture de la procédure probatoire, auditionné les cinq prévenus et la partie plaignante. Après la clôture de la procédure probatoire, les conseils des quatre coprévenus de X. ont plaidé.

B.c Au cours des débats du 29 septembre 2011, le conseil de la partie plaignante a plaidé le premier, concluant à ce que X. soit reconnu coupable de lésions corporelles graves. L'avocat de X. a pris la parole immédiatement après, concluant à l'acquittement de son client
BGE 138 I 425 S. 427
de ce chef d'accusation. Le Ministère public, qui a plaidé ensuite, a repris à son compte les conclusions de la partie plaignante tendant à la condamnation de X. pour lésions corporelles graves et requis contre lui une peine privative de liberté de 5 ans. Les conseils des quatre coprévenus de X. ont ensuite répliqué, la partie plaignante y renonçant.
Le Président Jacques Delieutraz a alors informé les parties qu'il entendait faire application de l'art. 232 al. 1 CPP (RS 312.0) en faisant amener devant lui X. "au motif de l'apparition de motif de détention nouveau en lien avec des charges qui se sont alourdies durant l'instruction du jugement d'appel, le risque de fuite étant accru par la peine risquant d'être prononcée. Un mandat d'amener sera décerné dans ce sens". Le Ministère public a été appelé à préciser sa position en lien avec l'application éventuelle de l'art. 232 al. 2 CPP. Invité à se déterminer également sur l'éventuel placement en détention pour des motifs de sûreté de son client de même qu'à répliquer sur le fond, le mandataire de X. a sollicité la récusation du Président Jacques Delieutraz pour apparence de prévention. Il a présenté ses arguments et exposé que les conditions d'application de l'art. 232 al. 2 CPP n'étaient pas réunies. Le Ministère public a dupliqué, puis X. s'est personnellement exprimé au sujet de la détention pour des motifs de sûreté, ensuite de quoi la direction de la procédure a décerné un mandat d'amener contre lui.

B.d Le lendemain 30 septembre 2011, la Chambre pénale d'appel - présidée par Jacques Delieutraz - a ouvert en séance publique le dispositif de l'arrêt au fond. D'une part, elle a rejeté les appels des cinq coprévenus. D'autre part, elle a partiellement admis celui de la partie plaignante, reconnaissant X. coupable de lésions corporelles graves en sus des chefs de condamnation retenus en première instance, a révoqué un précédent sursis, l'a condamné à une peine privative de liberté de quatre ans et ordonné sa mise en détention pour des motifs de sûreté.

B.e Statuant le 7 novembre 2011 sans le concours du Président Jacques Delieutraz, la Chambre pénale d'appel a rejeté la requête de récusation formée par X. lors des débats tenus le 29 septembre 2011.

C. X. forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre la décision sur récusation du 7 novembre 2011 dont il réclame la réforme en concluant, sous suite de dépens, à l'admission de la demande de récusation, à l'annulation de l'arrêt du 30 septembre 2011
BGE 138 I 425 S. 428
et à la répétition des débats. Il requiert en outre le bénéfice de l'assistance judiciaire.
Invités à se déterminer sur le recours, la Chambre pénale d'appel s'est référée à son arrêt, tandis que le Ministère public et B. ont conclu au rejet. Des déterminations sur déterminations ont été déposées.

D. Le Tribunal fédéral a rendu son jugement en séance publique.

Considérants

Extrait des considérants:

4.

4.1 Le recourant se plaint de violation des art. 30 al. 1 Cst., 6 par. 1 CEDH et 56 let. f CPP. En bref, il fait valoir qu'en invoquant la peine encourue en appel comme nouveau motif de détention après avoir entendu le Ministère public et les avocats de ses coaccusés et avant de lui accorder la parole, le Président Jacques Delieutraz a donné l'apparence d'une prévention. De même, en retenant que le risque de fuite justifiant sa mise en détention pour des motifs de sûreté était accru par la sanction requise en appel, il a procédé à un examen se confondant avec celui de la culpabilité, en violation de la garantie d'un juge impartial.

4.2

4.2.1 La garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par les art. 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH - qui ont, de ce point de vue, la même portée - permet de demander la récusation d'un juge dont la situation ou le comportement est de nature à susciter des doutes quant à son impartialité. Elle vise à éviter que des circonstances extérieures à l'affaire puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d'une partie. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat, mais seules des circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération; les impressions purement individuelles du plaideur ne sont pas décisives (ATF 136 III 605 consid. 3.2.1 p. 608; ATF 134 I 20 consid. 4.2 p. 21, ATF 134 I 238 consid. 2.1 p. 240 et les arrêts cités; ATF 131 I 24 consid. 1.1 p. 25). Les motifs de récusation mentionnés à l'art. 56 CPP concrétisent ces garanties. La récusation d'un magistrat s'impose en particulier lorsque certains motifs, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil, sont de nature à le rendre suspect de prévention (art. 56 let. f CPP). Cette dernière disposition a la portée d'une clause générale (cf. arrêt 6B_621/2011 du 19 décembre 2011 consid. 2.2 et les références citées).
BGE 138 I 425 S. 429
Le fait que le juge a déjà participé à l'affaire à un stade antérieur de la procédure peut éveiller le soupçon de partialité. La jurisprudence a toutefois renoncé à résoudre une fois pour toute la question de savoir si le cumul des fonctions contrevient ou non aux art. 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH (ATF 131 I 113 consid. 3.4 p. 117; ATF 114 Ia 50 consid. 3d p. 57 ss et les arrêts cités). Elle exige, cependant, que l'issue de la cause ne soit pas prédéterminée, mais qu'elle demeure au contraire indécise quant à la constatation des faits et à la résolution des questions juridiques. Il faut, en particulier, examiner les fonctions procédurales que le juge a été appelé à exercer lors de son intervention précédente, prendre en compte les questions successives à trancher à chaque stade de la procédure, et mettre en évidence leur éventuelle analogie ou leur interdépendance, ainsi que l'étendue du pouvoir de décision du juge à leur sujet. Il peut également se justifier de prendre en considération l'importance de chacune des décisions pour la suite du procès (ATF 131 I 24 consid. 1.1 et la jurisprudence citée).
En matière de procédure pénale, le Tribunal fédéral a été amené à se prononcer sur la compatibilité de certaines situations avec les art. 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH. Il a sanctionné le cumul des fonctions de juge du renvoi et de juge du fond (ATF 114 Ia 50 consid. 4 et 5 p. 60 ss), ainsi que de juge du mandat de répression et de juge du fond (ATF 114 Ia 143 consid. 7b p. 151 ss). En revanche, le rejet d'une demande d'assistance judiciaire pour défaut de chances de succès ne constitue pas un motif suffisant pour obtenir la récusation du juge du fond (ATF 131 I 113 consid. 3.7 p. 120). Le Tribunal fédéral n'a pas non plus condamné l'union personnelle du juge de la détention et du juge du fond, les questions à résoudre étant suffisamment distinctes (ATF 117 Ia 182 consid. 3b p. 184 ss).
Sur cette question particulière, le Tribunal fédéral a exposé que le fait que le juge du fond ait eu précédemment à s'occuper de la cause ne constitue pas à lui seul un motif de récusation, du moins lorsque les problèmes de fait et de droit soulevés restent entiers. En d'autres termes, il n'y a pas d'inconvénient à la participation à l'audience de jugement du magistrat compétent pour se prononcer sur la détention préventive lorsque l'issue du procès reste suffisamment incertaine pour qu'il n'y ait pas apparence de prévention. Il faut donc se demander quelles sont les compétences de l'un et de l'autre. Le juge de la détention doit examiner s'il se justifie d'ordonner celle-ci ou de la prolonger, soit s'il existe à la charge du prévenu des charges suffisantes de la commission d'une infraction (dringender Tatverdacht) et s'il
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présente un danger pour la sécurité et l'ordre public, un risque de fuite ou de collusion. Il incombe en revanche au juge du fond de déterminer si l'accusé s'est bien rendu coupable des faits qui lui sont reprochés et, en cas de réponse affirmative, quelle peine il y a lieu de lui infliger. La différence essentielle est que le juge de la détention préventive n'a pas à se prononcer sur le degré de culpabilité du délinquant. On ne saurait donc affirmer que dans les cas où le juge du fond a eu à se prononcer sur le problème de la détention préventive, le sort de l'accusé apparaît scellé ou du moins qu'il y a risque de prévention. Il suit de là qu'en principe, il n'apparaît pas contraire à la Constitution et à la Convention que le même magistrat exerce les deux fonctions.

4.2.2 A l'instar de la jurisprudence du Tribunal fédéral, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CourEDH) n'a jamais considéré que l'union personnelle du juge de la détention et du juge du fond était d'emblée contraire à l'art. 6 par. 1 CEDH et rendait ainsi le juge récusable, réaffirmant récemment que le fait qu'un juge ait pris des décisions avant le procès, notamment au sujet de la détention provisoire, ne justifie pas des appréhensions quant à son impartialité (cf. arrêt de la CourEDH Alony Kate contre Espagne du 17 janvier 2012 cf. § 52; voir également les arrêts de la CourEDH Hauschildt contre Danemark du 24 mai 1989 § 50 et Sainte-Marie contre France du 16 décembre 1992 § 32). La question portant sur le placement en détention provisoire ne se confond pas avec la question portant sur la culpabilité de l'intéressé. On ne saurait assimiler des soupçons à un constat formel de culpabilité, même si des circonstances particulières peuvent, dans une affaire donnée, mener à une conclusion différente (arrêt de la CourEDH Cardona Serrat contre Espagne du 26 octobre 2010 § 31). La CourEDH a en particulier admis des doutes quant à l'impartialité du tribunal incompatible avec l'art. 6 CEDH dans le cas d'un juge danois, également chargé du fond de l'affaire, qui s'était préalablement prononcé sur la détention provisoire, laquelle était subordonnée à la condition légale de l'existence de "soupçons particulièrement renforcés" que le prévenu ait commis l'infraction (arrêt de la CourEDH Hauschildt, § 50-52).

4.2.3 Au vu de la jurisprudence du Tribunal fédéral et de la CourEDH qui considère qu'il faut trancher de cas en cas, la doctrine, divisée sur la question de la compatibilité du cumul des fonctions du juge de la détention et du juge du fond, en particulier de la compatibilité de l'art. 232 CPP avec l'art. 6 par. 1 CEDH, n'apporte pas d'éclairage
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déterminant. Certains auteurs semblent critiques (PIQUEREZ/MACALUSO, Procédure pénale suisse, 3e éd. 2011, n° 650 p. 22; FRANÇOIS PAYCHÈRE, Privation de liberté et pouvoirs du juge d'appel: vers un conflit entre la CEDH et le nouveau CPP suisse?, in SJ 2009 II p. 292; ALAIN MACALUSO, Quelques aspects des procédures relatives à la détention avant jugement dans le CPP suisse, in forum poenale 2011 p. 313 ss, spéc. 319/320; RICHARD CALAME, in Commentaire romand, Code de procédure pénale suisse, 2011, n° 3 ad art. 388 CPP qui affirme à tort que selon la jurisprudence établie, le juge de fond ne peut être identique au juge de la détention). D'autres tiennent un tel cumul pour conforme à l'art. 6 CEDH au vu de l'examen sommaire des charges effectué pour la mise en détention et autant que le juge se limite à un tel examen (MARKUS BOOG, in Basler Kommentar, Schweizerische Strafprozessordnung, 2011, n° 27 ad art. 56 CPP avec renvoi à l'arrêt 117 Ia 182 du 21 août 1991; MARTIN ZIEGLER, ibidem, n° 1 ad art. 388 CPP; GOLDSCHMID/MAURER/SOLLBERGER, Kommentierte Textausgabe zur Schweizerischen Strafprozessordnung [StPO] vom 5. Oktober 2007, 2008, p. 47 avec renvoi à la décision de la CourEDH Hauschildt contre Danemark ; DANIEL LOGOZ, in Commentaire romand, Code de procédure pénale suisse, 2011, n° 2 ad art. 232 CPP; ANDREAS J. KELLER, in Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung [StPO], 2010, n° 34 ad art. 56 CPP; NIKLAUS SCHMID, Handbuch des schweizerischen Strafprozessrechts, 2009, n° 514 p. 198; REGINA KIENER, Richterliche Unabhängigkeit, 2001, p. 155 ss; FRÉDÉRIC SUDRE, Droit européen et international des droits de l'homme, Paris 2011, p. 441; ROBERT LEVI, Zum Einfluss der Europäischen Menschenrechtskonvention auf das kantonale Prozessrecht - Erwartungen und Ergebnisse, in RPS 106/1989 p. 233).

4.3 Au cours des débats tenus le 29 septembre 2011, le Président Jacques Delieutraz a décerné, après les plaidoiries, un mandat d'amener à l'encontre du recourant en vue d'une éventuelle décision de détention pour des motifs de sûreté, considérant que le risque de fuite était accru par la peine encourue. La détention pour des motifs de sûreté en tant que telle n'a été ordonnée que le 30 septembre suivant, lors de l'ouverture en séance publique du dispositif de l'arrêt au fond. Il convient ainsi de distinguer entre le mandat d'amener décerné par le Président Jacques Delieutraz sur la base de l'art. 232 al. 1 CPP et la décision de détention ordonnée en application de l'art. 232 al. 2 CPP par la Chambre pénale d'appel subséquemment au verdict de culpabilité. Le recours formé contre cette décision a été rejeté par le Tribunal fédéral qui a admis l'existence d'un risque de fuite (arrêt
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1B_623/2011). En d'autres termes, il s'agit de déterminer si la décision de la direction de la procédure de décerner un mandat d'amener - qui ne s'apparente pas encore à une décision formelle de mise en détention pour des motifs de sûreté - lors des débats d'appel a pour conséquence d'entraîner la récusation du magistrat qui l'a rendue si celui-ci participe ensuite à la décision sur le fond.

4.4 Selon l'art. 232 al. 1 CPP, la direction de la procédure fait amener immédiatement le prévenu par la police et l'interroge si des motifs de détention n'apparaissent que pendant la procédure devant la juridiction d'appel. En d'autres termes, la direction de la procédure décerne un mandat d'amener.
Les conditions présidant à la délivrance d'un mandat d'amener sont prévues à l'art. 207 al. 1 CPP. En particulier, si un motif de détention pour des motifs de sûreté survient pendant la procédure d'appel, la direction de la procédure peut décerner un mandat d'amener à condition que la personne concernée soit fortement soupçonnée d'avoir commis un crime ou un délit et qu'il y ait lieu de présumer des motifs de détention à l'encontre de celle-ci (art. 207 al. 1 let. d CPP). En tant que l'art. 207 al. 1 let. d CPP pose comme préalable à la délivrance d'un mandat d'amener que le prévenu soit fortement soupçonné d'avoir commis un crime ou un délit, ses conditions d'application semblent se recouper avec celles auxquelles l'art. 221 al. 1 CPP subordonne la détention pour des motifs de sûreté. Selon cette dernière disposition, la détention pour des motifs de sûreté ne peut notamment être ordonnée qu'à la condition que le prévenu soit fortement soupçonné d'avoir commis un crime ou un délit. Pour autant, la délivrance d'un mandat d'amener et la décision sur la détention pour des motifs de sûreté n'assujettissent pas le juge au même pouvoir d'examen.
Décerné en principe par écrit, le mandat d'amener peut l'être oralement en cas d'urgence et à condition d'être confirmé par écrit (art. 208 al. 1 CPP). Il contient les mêmes indications que le mandat de comparution (art. 201 al. 2 CPP) ainsi que la mention de l'autorisation expresse donnée à la police de recourir à la force si nécessaire et de pénétrer dans les bâtiments, les habitations et les autres locaux non publics pour exécuter le mandat (art. 208 al. 2 CPP). Il devra donc désigner l'autorité qui l'a décerné et les personnes qui exécuteront l'acte de procédure, la personne citée à comparaître et la qualité en laquelle elle doit participer à l'acte de procédure, le motif du mandat, pour autant que le but de l'instruction ne s'oppose pas à cette indication, le lieu,
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la date et l'heure de la comparution, la sommation de se présenter personnellement, les conséquences juridiques d'une absence non excusée, la date de son établissement et la signature de la personne qui l'a décerné (art. 201 al. 2 CPP). Dès lors qu'il suffit que le mandat d'amener indique le motif pour lequel il est décerné (art. 201 al. 2 let. c par renvoi de l'art. 208 al. 2 CPP), ses exigences de motivation sont moindres que celles qui président au prononcé d'une décision de détention. En outre, la finalité du mandat d'amener n'est pas la même que celle de la détention pour des motifs de sûreté en ce sens que celui-là vise à assurer la présence du prévenu jusqu'à ce qu'une décision soit prise sur la détention et permet en outre qu'il soit interrogé sur d'éventuels motifs de détention pour respecter son droit d'être entendu. Aucune décision n'est véritablement prise à ce stade sur la détention. En tant que le mandat d'amener constitue l'étape préalable à la future décision de confirmation ou d'infirmation de la détention pour motifs de sûreté, il est le résultat d'un examen très sommaire qui n'est en rien comparable avec celui approfondi auquel les juges de la juridiction du fond se livrent.
En dépit de la terminologie légale qui subordonne la délivrance d'un mandat d'amener à la condition que le prévenu soit fortement soupçonné d'avoir commis un crime ou un délit et qui pourrait donner à penser, abstraitement, que la marge distinguant le prononcé d'un mandat d'amener de l'énoncé d'un verdict de culpabilité est infime, l'examen des circonstances concrètes présidant à l'une et à l'autre décision est fondamentalement différent. La première est très succincte et ne comporte aucune appréciation anticipée de la prévention qui aille si loin que le juge serait tenu par la suite dans l'examen de sa décision au fond par sa précédente appréciation. Pour s'en convaincre, il suffit de lire en l'espèce la motivation du mandat d'amener qui tient en trois lignes: "l'apparition de motif de détention nouveau en lien avec des charges qui se sont alourdies durant l'instruction du jugement d'appel, le risque de fuite étant accru par la peine risquant d'être prononcée". A l'instar des principes posés par la jurisprudence du Tribunal fédéral et de la CourEDH, on ne saurait considérer que les soupçons fondant la délivrance d'un mandat d'amener en vue d'une éventuelle détention dans l'attente du jugement au fond sont assimilables à un constat de culpabilité. Dans ce dernier cas, les magistrats examinent la réalisation des conditions objectives et subjectives d'une infraction. S'agissant d'établir la culpabilité de l'auteur, ils prennent en considération les antécédents et la situation personnelle de l'auteur
BGE 138 I 425 S. 434
ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (art. 47 al. 1 CP). La culpabilité elle-même est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (art. 47 al. 2 CP). L'ensemble de ces éléments n'est pas examiné à l'énoncé d'un mandat d'amener, la condition que le détenu soit fortement soupçonné d'avoir commis un crime ou un délit servant strictement à éviter la délivrance arbitraire de tels mandats. L'appréciation par la direction de la procédure des conditions posées au prononcé d'un mandat d'amener ne se confond ainsi nullement avec l'examen de la culpabilité du recourant.

4.5 Au demeurant, il est constant qu'après avoir clôturé la procédure probatoire, le Président Jacques Delieutraz a fait procéder aux plaidoiries des cinq coprévenus et de la partie plaignante avant de donner la parole au Ministère public - lequel a requis une peine privative de liberté de cinq ans à l'encontre du recourant - puis aux quatre coprévenus du recourant qui ont répliqué. C'est alors que le magistrat a déclaré qu'il entendait faire application de l'art. 232 al. 1 CPP "au motif de l'apparition de motif de détention nouveau en lien avec les charges qui se sont alourdies durant l'instruction de jugement, le risque de fuite étant accru par la peine risquant d'être prononcée". Ce faisant, il s'est borné à prononcer les mesures nécessaires à la sauvegarde des conclusions prises à l'issue des débats d'appel par le Ministère public. Pour autant, il n'a procédé à aucune évaluation de la culpabilité, respectivement de la peine imputable au recourant.

4.6 Il s'ensuit que ni la délivrance d'un mandat d'amener par le Président Jacques Delieutraz, pas plus que les circonstances concrètes dans lesquelles celui-là a été décerné, n'ont donné l'apparence de prévention et constitué un motif de récusation. Le grief se révèle mal fondé.

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Etat de fait

Considérants 4

références

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