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52873/09


Shala Isak gegen Schweiz
Urteil no. 52873/09, 15 novembre 2012

Regeste

  SUISSE: Art. 8 CEDH. Expulsion d'un ressortissant kosovar ayant fait l'objet de plusieurs condamnations pénales et d'une amende pour tentative de chantage et menaces de mort à l'encontre de son ex-amie.

  Vu la très longue durée du séjour du requérant en Suisse, le refus de lui octroyer une autorisation de séjour constitue une ingérence dans le droit au respect de sa vie privée. La Convention ne garantit aucun droit pour un étranger d'entrer ou de résider sur le territoire d'un Etat. Toutefois, exclure une personne dont le réseau social se trouve dans le pays dont il est expulsé peut constituer une ingérence dans le droit au respect de sa vie privée, ce qui est le cas en l'espèce. Au regard des infractions commises par le requérant, l'expulsion, prévue par la loi, est pleinement justifiée par des buts légitimes de défense de l'ordre, de prévention des infractions pénales et de protection des droits et libertés d'autrui. Sur le plan de la proportionnalité de la mesure, la Cour relève que l'activité délictueuse s'est étendue sur un certain laps de temps et revêt, pour l'une d'entre elles, une gravité particulière. Compte tenu de l'intégration du requérant au Kosovo, de ses qualifications professionnelles, et du fait que les liens avec sa famille en Suisse ne sont pas menacés par une expulsion, la Cour estime qu'un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts du requérant et ceux de l'État défendeur (ch. 38 - 57).
Conclusion: non-violation de l'art 8 CEDH.



Synthèse de l'OFJ
(4ème rapport trimestriel 2012)

Droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH); expulsion vers le Kosovo.

Le requérant, d'origine kosovare, était arrivé en Suisse dans le cadre du regroupement familial. Ayant fait l'objet de plusieurs condamnations pénales, il a été expulsé de Suisse, après y avoir vécu pendant 18 ans. Invoquant l'article 8 CEDH, il se plaignait devant la Cour de son expulsion de Suisse, qu'il estimait être disproportionnée au vu de ses faibles chances d'intégration professionnelle au Kosovo.

Tenant compte des diverses infractions du requérant, de la durée de l'expulsion limitée à dix ans et des attaches encore importantes du requérant avec son pays, la Cour a retenu qu'un juste équilibre entre les intérêts privés du requérant et l'intérêt de la Suisse à contrôler l'immigration avait été maintenu. Pas de violation de l'article 8 CEDH (4 voix contre 3).





Faits

En l'affaire Shala c. Suisse,
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Ineta Ziemele, présidente,
Danute Jociene,
Dragoljub Popovic,
Isil Karakas,
Guido Raimondi,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 octobre 2012,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 52873/09) dirigée contre la Confédération suisse et dont M. Isak Shala (« le requérant »), qui déclare être de nationalité kosovare,[1] a saisi la Cour le 21 septembre 2009 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
Toute référence au Kosovo, soit à son territoire, à ses institutions ou sa population, dans cet arrêt doit être comprise comme étant en conformité avec la Résolution 1244 du Conseil de sécurité et sans préjudice concernant le statut du Kosovo.
2. Le requérant est représenté par Me B. Jüsi, avocat à Zürich. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») est représenté par son agent suppléant, M. A. Scheidegger, de l'unité Droit européen et protection internationale des droits de l'homme de l'Office fédéral de la Justice
3. Invoquant l'article 8 de la Convention, le requérant fait valoir que son expulsion n'était pas « nécessaire dans une société démocratique » et, dès lors, en violation de cette disposition.
4. Le 23 novembre 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
5. Le 1er février 2011, les sections de la Cour ont été remaniées. La requête a été attribuée à la deuxième section (articles 25 § 1 et 52 § 1 du règlement).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
6. Le requérant est né en 1983 et réside à Prizren.
7. Le requérant entra en Suisse en janvier 1990 dans le cadre du regroupement familial. Il y a effectué toute sa scolarité et y a accompli un apprentissage de serrurier. Il était, jusqu'à son éloignement du territoire suisse, titulaire d'une autorisation d'établissement (permis C).
8. Le 12 février 2003, le parquet du district de Winterthur le condamna à une peine privative de liberté de trois mois, avec sursis, pour lésions corporelles par négligence, pour violation grave des règles de la circulation routière, ainsi que pour avoir pris la fuite après avoir blessé une personne lors d'un accident de la circulation (pour la base légale des infractions commises, voir paragraphe 19 ci-dessous). Il s'avéra établi que, le 30 mars 2002, le requérant avait renversé une personne sur un passage-piéton qui avait provoqué auprès de celle-ci des blessures aux pied, bras et coude. Par la suite, le requérant ne s'est pas arrêté pour prêter secours mais a continué son chemin. Le requérant n'a pas contesté ses condamnations.
9. Le 27 octobre 2003, il fut encore condamné à une peine privative de liberté de 30 jours pour violation grave des règles de la circulation routière (paragraphe 19 ci-dessous). Le requérant n'a pas contesté sa condamnation. Sur la base de celle-ci, le 16 janvier 2004, l'office cantonal des étrangers ( Ausländeramt ) du canton de Schaffhouse lui adressa un avertissement.
10. Le 23 juillet 2004, l'office du juge d'instruction de Schaffhouse condamna le requérant à une peine d'emprisonnement de 45 jours pour rixe, peine assortie d'un sursis (paragraphe 20 ci-dessous). Le requérant n'a pas contesté sa condamnation. A la suite de celle-ci, l'office cantonal des étrangers lui adressa un nouvel avertissement.
11. Le 26 juin 2007, l'office du juge d'instruction de Schaffhouse le condamna à une peine pécuniaire de 120 jours-amende de 90 francs suisses (CHF), ainsi qu'à une amende, pour abus d'une installation de télécommunication ainsi que pour tentative de chantage (paragraphe 19 ci-dessous). Il s'avéra établi que le requérant avait exercé un chantage à l'égard de son ex-amie et qu'il l'avait menacée de mort à plusieurs reprises entre février et avril 2007. Il lui a notamment écrit ou dit qu'il la jetterait sous un train, qu'il la pendrait, l'abattrait devant sa famille ou ferait en sorte qu'elle soit contaminée par le virus du sida. Le sursis assorti à la peine d'emprisonnement de 45 jours fut alors annulé. Le requérant n'a pas contesté ses condamnations.
12. En septembre 2007, le requérant se maria au Kosovo avec une ressortissante de ce pays, pour laquelle il demanda, début novembre 2007, une demande de regroupement familial.
13. Le 30 novembre 2007, l'office cantonal des étrangers du canton de Schaffhouse prononça l'expulsion du requérant pour une durée de dix ans.
14. Un recours contre cette décision fut rejeté par le Conseil d'Etat du canton de Schaffhouse le 12 février 2008.
15. Le 31 mars 2008, le requérant fut expulsé de Suisse.
16. Le 15 août 2008, le recours contre la décision du Conseil d'Etat fut rejeté par le tribunal supérieur du canton de Schaffhouse. Ce tribunal estima notamment que la tentative de chantage ainsi que les menaces de mort à l'encontre de son ex-amie n'étaient pas seulement effroyables mais devaient également être considérées comme sérieuses. Le tribunal était convaincu que le requérant avait « terrorisé » sa victime pendant de longs mois.
17. Par un arrêt du 4 mars 2009, notifié au requérant le 26 mars 2009, le Tribunal fédéral rejeta un recours contre la décision du 15 août 2008. Il observa que le requérant ne contestait que la proportionnalité de la mesure litigieuse. Le tribunal estima ensuite que le requérant, qui était venu en Suisse à l'âge de sept ans, ne pouvait pas être considéré comme un étranger de la deuxième génération pour lequel une expulsion ne peut être prononcée qu'à des conditions très strictes. Le Tribunal fédéral estima également que le requérant avait vingt ans au moment de sa première condamnation ; dès lors, l'on ne saurait parler de criminalité juvénile proprement dite. Le tribunal considéra en outre comme inquiétantes et sérieuses les menaces de mort que le requérant avait exprimées à l'égard de son ex-amie entre février et avril 2007. Il jugea également important le fait qu'il avait contracté mariage avec une ressortissante du Kosovo, qui vivait dans ce pays. Il s'y serait rendu assez fréquemment pendant ses vacances et les périodes de chômage. Par ailleurs, il y posséderait un réseau familial assez soudé et s'adresserait aux proches de son épouse en albanais. Dès lors, l'instance inférieure a pu conclure à juste titre que les coutumes et habitudes en usage au Kosovo étaient familières au requérant.
II. LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENT
18. Le droit de séjour des étrangers était réglé par l'ancienne loi sur le séjour et l'établissement des étrangers du 26 mars 1931 (ci-après : « LSEE »), dont les dispositions pertinentes étaient libellées comme suit :
Article 10, alinéa premier
« L'étranger ne peut être expulsé de Suisse ou d'un canton que pour les motifs suivants :
a. S'il a été condamné par une autorité judiciaire pour crime ou délit ;
Article 11, alinéa 3
L'expulsion ne sera prononcée que si elle paraît appropriée à l'ensemble des circonstances (...) »
19. Les dispositions sur lesquelles les instances internes se sont basées pour condamner le requérant sont libellées comme suit :
Article 125 du code pénal : Lésions corporelles par négligence
« 1. Celui qui, par négligence, aura fait subir à une personne une atteinte à l'intégrité corporelle ou à la santé sera, sur plainte, puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.
2. Si la lésion est grave le délinquant sera poursuivi d'office.
Article 156 du code pénal : Extorsion et chantage
1. Celui qui, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, aura déterminé une personne à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d'un tiers, en usant de violence ou en la menaçant d'un dommage sérieux, sera puni d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire.
2. Si l'auteur fait métier de l'extorsion ou s'il a poursuivi à réitérées reprises ses agissements contre la victime, la peine sera une peine privative de liberté de un à dix ans.
3. Si l'auteur a exercé des violences sur une personne ou s'il l'a menacée d'un danger imminent pour la vie ou l'intégrité corporelle, la peine sera celle prévue à l'article 140.
4. Si l'auteur a menacé de mettre en danger la vie ou l'intégrité corporelle d'un grand nombre de personnes ou de causer de graves dommages à des choses d'un intérêt public important, la peine sera une peine privative de liberté d'un an au moins.
Article 179septies du code pénal : Utilisation abusive d'une installation de télécommunication
Celui qui, par méchanceté ou par espièglerie, aura utilisé abusivement une installation de télécommunication pour inquiéter un tiers ou pour l'importuner sera, sur plainte, puni d'une amende.
Article 90 de la loi fédérale sur la circulation routière : Violation des règles de la circulation
1. Celui qui aura violé les règles de la circulation fixées par la présente loi ou par les prescriptions d'exécution émanant du Conseil fédéral sera puni de l'amende.
2. Celui qui, par une violation grave d'une règle de la circulation, aura créé un sérieux danger pour la sécurité d'autrui ou en aura pris le risque, sera puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.
3. Dans les cas de ce genre, l'article 237, chiffre 2, du code pénal suisse n'est pas applicable.
Article 92 de la loi fédérale sur la circulation routière : Violation des devoirs en cas d'accident
1. Celui qui, lors d'un accident, aura violé les devoirs que lui impose la présente loi sera puni de l'amende.
2. Le conducteur qui aura pris la fuite après avoir tué ou blessé une personne lors d'un accident de la circulation sera puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire. »
20. En ce qui concerne plus spécifiquement l'infraction de la rixe, elle est punie en vertu de l'article 133 du code pénal, libellé comme suit :
Article 133 du code pénal : Rixe
« 1. Celui qui aura pris part à une rixe ayant entraîné la mort d'une personne ou une lésion corporelle sera puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.
2. N'est pas punissable celui qui se sera borné à repousser une attaque, à défendre autrui ou à séparer les combattants. »
Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, la rixe est une altercation physique réciproque entre au moins trois personnes qui y participent activement. Le comportement punissable consiste à participer à la bagarre. La notion de participation doit être comprise dans un sens large. Il faut ainsi considérer comme un participant celui qui frappe un autre protagoniste, soit toute personne qui prend une part active à la bagarre en se livrant elle-même à un acte de violence (cf. arrêt du Tribunal fédéral, ATF 106 IV 246 consid. 3e p. 252).
21. Le Conseil de l'Europe a adopté de nombreux textes dans le domaine de l'immigration. Il convient notamment de se référer aux Recommandations du Comité des Ministres Rec(2000)15 sur la sécurité de résidence des immigrés de longue durée, Rec(2002)4 sur le statut juridique des personnes admises au regroupement familial ainsi que la Recommandation de l'Assemblée parlementaire 1504(2001) sur la non-expulsion des immigrés de longue durée (voir, pour les paragraphes pertinents de ces textes, Üner c. Pays-Bas [GC], no 46410/99, §§ 35-38, CEDH 2006-XII).


Considérants

EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
22. Le requérant allègue que son expulsion du territoire suisse, où il avait vécu 18 ans, était disproportionnée. Dès lors, il aurait eu violation de l'article 8 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
23. Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
24. La Cour constate que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Les thèses des parties
a) Le requérant
25. Le requérant estime qu'en tant que travailleur relativement peu qualifié, les possibilités d'intégration professionnelle au Kosovo sont faibles, compte tenu notamment de la situation économique difficile. Ainsi, il n'aurait pas encore trouvé, depuis son retour, un travail lui permettant de gagner sa vie et dépendrait du soutien financier de ses parents.
26. Le requérant soutient que la gravité des infractions commises ne justifie nullement son éloignement du territoire suisse, qui constitue une mesure extrêmement dure. En d'autres termes, les délits qu'il a commis ne sauraient notamment être comparables à ceux qui ont été reprochés au requérant dans l'affaire Emre c. Suisse, no 42034/04, 22 mai 2008, dans laquelle celui-ci s'était rendu coupable d'une trentaine d'infractions, y inclus des lésions corporelles graves et du brigandage.
27. Le requérant n'hésite pas à exprimer ses regrets par rapport à ses infractions, et notamment à ses agissements à l'encontre de son ex-amie, mais il est en même temps convaincu que sa situation s'est depuis lors stabilisée, notamment par son mariage célébré ultérieurement et qu'il n'existe, dès lors, plus de risque de récidive. Certes, il ne méconnaît pas qu'il était déjà adulte lorsqu'il s'est livré à des actes criminels. En même temps, il rappelle qu'il était toutefois encore jeune à ce moment-là et allègue qu'il a entre-temps gagné en maturité.
28. Le requérant rappelle qu'il a vécu en Suisse presque vingt ans et que la plupart de ses amis et de ses proches vivent dans ce pays. Son éloignement le frappe dès lors très durement. Dans ces circonstances, ses intérêts privés devraient l'emporter sur l'intérêt public de la Suisse à l'éloigner de son territoire pour des raisons d'ordre et de sécurité publics.
29. Le requérant est convaincu que l'exclure de sa vie sociale en Suisse constitue une ingérence disproportionnée dans son droit au respect de sa vie privée et familiale. Dès lors, la mesure litigieuse n'était pas nécessaire et, partant, il y a eu violation de l'article 8 de la Convention.
b) Le Gouvernement
30. Le Gouvernement, renvoyant aux dispositions citées ci-dessus (paragraphe 18), est convaincu que l'expulsion du requérant était « prévue par la loi ». Il soutient également que la mesure litigieuse poursuivait la défense de l'ordre, la prévention des infractions pénales, la sûreté publique et la protection des droits et libertés d'autrui, conformément à l'article 8 § 2.
31. Le Gouvernement rappelle que le requérant a été condamné à plusieurs reprises pour de nombreuses infractions, dont certaines peuvent être qualifiées de graves. Dans leur ensemble, les différentes sanctions atteignaient 5 mois et demi de privation de liberté et 120 jours-amende. Le Gouvernement soutient que notamment la tentative de chantage et les menaces de mort adressées à son ex-amie de manière répétée pèsent lourdement.
32. Le Gouvernement soulève également que le requérant a commis ses infractions alors qu'il était déjà adulte. Par ailleurs, les infractions montreraient que le requérant n'a pas hésité à mettre en danger l'intégrité physique ou psychique de tiers ou de proches, sans s'occuper par la suite de ses victimes. En outre, ni l'octroi du sursis accordé à plusieurs reprises, ni les deux avertissements concernant le retrait de son titre de séjour ne l'auraient empêché de commettre de nouvelles infractions.
33. Le Gouvernement relève également que les activités criminelles du requérant s'étendaient sur une période considérable, entre mars 2002 et avril 2007 ; le cas d'espèce se distinguerait donc des cas récents jugés par la Cour dans lesquels les requérants n'étaient condamnés qu'à une seule reprise( Bousarra c. France, no 25672/07, 23 septembre 2010, ou A.W. Khan c. Royaume-Uni, no 47486/06, 12 janvier 2010).
34. Le Gouvernement concède que le requérant est arrivé en Suisse à l'âge de sept ans et que ses parents ainsi que ses frères et soeurs y vivent. En revanche, il estime que le renvoi du requérant ne signifie pas que les liens avec ses proches sont rompus puisque des contacts personnels et par le biais de différents moyens de communication (téléphone, courrier, etc.) restent possibles.
35. Le Gouvernement soutient en outre que le requérant est familiarisé avec le Kosovo, où il a passé les sept premières années de sa vie ainsi que de nombreuses vacances et séjours. Par ailleurs, le requérant aurait encore de la parenté au Kosovo où vit aussi la famille de son épouse. Le requérant, qui avait 25 ans lors de son expulsion et qui est serrurier de formation, devrait être capable de s'intégrer socialement et professionnellement au Kosovo.
36. Selon le Gouvernement, l'argument selon lequel le requérant n'aurait plus commis d'infractions depuis sa condamnation du 26 juin 2007 ne saurait convaincre. D'une part, il vit au Kosovo depuis que l'expulsion a été exécutée, le 31 mars 2008, et, d'autre part, la période entre la dernière condamnation et l'expulsion était courte et interrompue de séjours au Kosovo. Enfin, le Gouvernement souligne que l'expulsion du requérant a été prononcée pour une période de dix ans.
37. Compte tenu de ce qui précède, la mesure d'éloignement était nécessaire dans une société démocratique au sens de l'article 8 § 2.
2. L'appréciation de la Cour
a) Ingérence dans le droit protégé par l'article 8
38. La Cour rappelle que la Convention ne garantit aucun droit pour un étranger d'entrer ou de résider sur le territoire d'un Etat. Toutefois, exclure une personne d'un pays où vivent ses proches parents peut constituer une ingérence dans le droit au respect de sa vie familiale, tel que protégé par l'article 8 § 1 de la Convention( Moustaquim c. Belgique, arrêt du 18 février 1991, § 16, série A no 193).
39. Ensuite, la Cour rappelle que tous les immigrés établis, indépendamment de la durée de leur résidence dans le pays dont ils sont censés être expulsés, n'ont pas nécessairement une « vie familiale » au sens de l'article 8. Toutefois, dès lors que l'article 8 protège également le droit de nouer et d'entretenir des liens avec ses semblables et avec le monde extérieur et qu'il englobe parfois des aspects de l'identité sociale d'un individu, il faut accepter que l'ensemble des liens sociaux entre les immigrés établis et la communauté dans laquelle ils vivent fait partie intégrante de la notion de « vie privée » au sens de l'article 8. Indépendamment de l'existence ou non d'une « vie familiale », l'expulsion d'un étranger établi s'analyse en une atteinte à son droit au respect de sa vie privée. Dans ce cas, une certaine importance est accordée sur ce plan au degré d'intégration sociale des intéressés (voir, par exemple, l'arrêt Dalia c. France, 19 février 1998, §§ 42-45, Recueil des arrêts et décisions 1998-I). C'est en fonction des circonstances de l'affaire portée devant elle que la Cour décidera s'il convient de mettre l'accent sur l'aspect « vie familiale » plutôt que sur l'aspect « vie privée » ( Üner, précité, § 59).
40. Pour ce qui est des circonstances de l'espèce, la Cour estime que, en raison de la très longue durée du séjour du requérant en Suisse, le refus de lui octroyer une autorisation de séjour constitue une ingérence dans le droit au respect de sa vie « privée » (voir, mutatis mutandis, Gezginci c. Suisse, no 16327/05, § 57, 9 décembre 2010). Dans ces circonstances, la Cour n'estime pas nécessaire d'examiner si le requérant a également subi une ingérence dans sa vie « familiale » (ibid.), rappelant simplement que les rapports entre adultes ne bénéficieront pas nécessairement de la protection de l'article 8 sans que soit démontrée l'existence d'éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux (Ezzouhdi c. France, no 47160/99, § 34, 13 février 2001 ; et Kwakie-Nti et Dufie c. Pays-Bas (déc.), no 31519/96, 7 novembre 2000).
b) Justification de l'ingérence
41. Pareille ingérence enfreint la Convention si elle ne remplit pas les exigences du paragraphe 2 de l'article 8. Il faut donc rechercher si elle était « prévue par la loi », justifiée par l'un ou plusieurs buts légitimes au regard dudit paragraphe, et « nécessaire, dans une société démocratique ».
i. « Prévue par la loi »
42. Il n'est pas contesté que la mesure prononcée à l'encontre du requérant était fondée sur les dispositions pertinentes de la LSEE (voir le paragraphe 18 ci-dessus).
ii. But légitime
43. Eu égard aux infractions commises par le requérant, il n'est pas davantage controversé que l'ingérence en cause visait des fins pleinement en conformité avec l'article 8 § 2 de la Convention, à savoir la défense de l'ordre, la prévention des infractions pénales, la sûreté publique et la protection des droits et libertés d'autrui.
iii. Nécessité dans une société démocratique de la mesure
a) Principes généraux
44. La question essentielle à trancher en l'espèce est celle de savoir si l'ingérence était « nécessaire dans une société démocratique ». Les principes fondamentaux en la matière sont bien établis dans la jurisprudence de la Cour et ont été récapitulés, notamment dans les affaires Üner (précitée, §§ 54-55 et 57-58), Maslov c. Autriche ([GC], no 1638/03, §§ 68-76, CEDH 2008), et Emre (précité, §§ 65-71).
45. La Cour estime que, comme en l'espèce, la personne censée être expulsée est un adulte, sans enfants, qui se prévaut en premier lieu de son intégration dans le pays hôte et dont la situation relève plutôt de la vie « privée », il convient de prendre en compte les critères suivants :
- la nature et la gravité de l'infraction commise par le requérant ;
- la durée du séjour de l'intéressé dans le pays dont il doit être expulsé ;
- le laps de temps qui s'est écoulé depuis l'infraction, et la conduite du requérant pendant cette période ;
- la nationalité des diverses personnes concernées, et
- la solidité des liens sociaux, culturels et familiaux avec le pays hôte et avec le pays de destination.
46. Doivent également être prises en compte, le cas échéant, les circonstances particulières entourant le cas d'espèce, comme par exemple les éléments d'ordre médical( Boultif, précité, § 51, et Emre, précité, §§ 71, 81-83) ou la nature temporaire ou définitive de l'interdiction de territoire ( Emre, précité, §§ 84-85 ; et Ezzouhdi, précité, § 34).
47. La Cour rappelle également que les autorités nationales jouissent d'une certaine marge d'appréciation pour se prononcer sur la nécessité, dans une société démocratique, d'une ingérence dans l'exercice d'un droit protégé par l'article 8 et sur la proportionnalité de la mesure en question au but légitime poursuivi (Slivenko c. Lettonie [GC], no 48321/99, § 113, CEDH 2003-X, et Berrehab c. Pays-Bas, 21 juin 1988, série A no 138, § 28). Toutefois, selon la jurisprudence constante de la Cour, sa tâche consiste à déterminer si les mesures litigieuses ont respecté un juste équilibre entre les intérêts en présence, à savoir, d'une part, les droits de l'intéressé protégés par la Convention et, d'autre part, les intérêts de la société (voir, parmi beaucoup d'autres, Boultif, précité, § 47). Cette marge d'appréciation va de pair avec un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l'appliquent, même quand elles émanent d'une juridiction indépendante (voir, mutatis mutandis, Société Colas Est et autres c. France, no 37971/97, § 47, CEDH 2002-III). La Cour a donc compétence pour statuer en dernier lieu sur le point de savoir si une mesure d'éloignement d'une personne se concilie avec l'article 8 (Gezginci, précité, § 53).
48. Lorsqu'il s'agit d'examiner la nécessité de l'éloignement d'une personne qui est arrivée dans lepays hôte en bas âge, a reçu son éducation et a travaillé pendant un certain temps dans ce pays, où vivent également la plupart de ses amis et proches, et qu'elle n'a plus d'autres attaches que la nationalité de son pays d'origine, les autorités doivent démontrer, par des motifs pertinent et suffisant, qu'il existait un besoin social impérieux d'éloigner la personne, et en particulier que la mesure était proportionnée au but légitime poursuivi (dans ce sens Ezzouhdi, précité, § 34).
b) Application des principes susmentionnés au cas d'espèce
49. En ce qui concerne les circonstances du cas d'espèce, la Cour rappelle que le requérant est entré en Suisse en 1990 et qu'il y a régulièrement passé 18 années au moment de son expulsion, intervenue le 31 mars 2008. Il est évident qu'il s'agit là d'une période très longue dans la vie d'un individu et, plus concrètement, de plus de deux tiers de la vie du requérant, qui est né en 1983 (cf., en ce sens, l'affaire Gezginci, précitée, § 69, dans laquelle la durée totale du séjour régulier en Suisse de l'intéressé était également au moins de 18 ans). En outre, il n'apparaît pas, en tout cas le Gouvernement ne le prétend pas, que le requérant se soit livré à de nouvelles activités délictuelles depuis sa dernière condamnation, prononcée le 26 juin 2007.
50. Il convient de rappeler que le requérant a été condamné à des peines privatives de liberté de cinq mois et demi au total pour lésions corporelles par négligence, pour violation grave des règles de la circulation routière, pour avoir pris la fuite après avoir blessé une personne lors d'un accident de la circulation, ainsi que pour rixe. De plus, il a été condamné à une peine pécuniaire de 120 jours-amende de 90 CHF et à une amende pour abus d'installation de télécommunication ainsi que pour tentative de chantage (voir les bases légales relatives aux condamnations du requérant, ci-dessus, paragraphes 19-20).
51. La Cour estime que, certes, la nature et la gravité des infractions commises par le requérant sont moins importantes comparées, en particulier, à celles prononcées dans l'affaire Emre précitée, qui s'élevaient à 18 mois et demi au total (§ 73 ; voir également les affaires précitées Üner, § 63, et Maslov, § 80). Par ailleurs, les deux peines d'emprisonnement sont assorties d'un sursis. En revanche, la Cour partage l'avis des instances internes et du Gouvernement selon lequel les menaces de mort adressées à son ex-amie de manière répétée paraissaient sérieuses et étaient de nature à effrayer la victime. Il n'a notamment pas hésité à lui dire ou écrire qu'il la jetterait sous un train, la pendrait, l'abattrait devant sa famille ou ferait de sorte qu'elle soit contaminée par le virus du sida.
52. La Cour constate aussi que les activités délictueuses du requérant se sont étendues sur un laps de temps considérable, soit entre mars 2002 et avril 2007 ; son comportement délictuel ne s'épuisait ainsi pas en une seule condamnation (voir, en ce sens, Emre, précité, § 74 ; a contrario, Moustaquim, précité, § 44 ; Bousarra, précité, § 45 ; A.W. Khan, précité, § 40-41). Par ailleurs, les avertissements prononcés à son encontre ne l'ont visiblement pas empêché non plus de commettre de nouvelles infractions. Enfin, même si les agissements imputés au requérant remontent à un âge relativement jeune, il les a commis après son adolescence (voir, a contario, Emre précité, § 74 ; Moustaquim, précité, § 44 ; et Yilmaz c. Allemagne, no 52853/99, § 46, 17 avril 2003). Ainsi, l'on ne saurait parler d'infractions relevant de la délinquance juvénile qui tend à disparaître chez la plupart des individus avec le passage à l'âge adulte (Emre, précité, § 74, avec référence citée). Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que l'on ne saurait sous-estimer la gravité des infractions commises par le requérant, vues dans leur ensemble.
53. Quant à la nationalité des diverses personnes concernées et les difficultés que le conjoint risque de rencontrer dans le pays vers lequel le requérant doit être expulsé, la Cour rappelle qu'en septembre 2007, celui-ci s'est marié au Kosovo avec une ressortissante kosovare. Le requérant ne prétend pas que son épouse aurait vécu ailleurs qu'au Kosovo, notamment en Suisse, ou qu'elle aurait des difficultés de quelle manière que ce soit d'y rester. Selon les observations du Gouvernement, non contestées par le requérant, la famille de son épouse vit également au Kosovo. La présente affaire se distingue donc sur ces points essentiellement par rapport aux affaires tranchées par la Cour dans lesquelles les personnes menacées d'une expulsion s'étaient mariées avec des ressortissants du pays dont elles devaient être expulsées (voir, notamment les affaires Üner et Boultif, précitées).
54. En ce qui concerne la solidité des liens sociaux, culturels et familiaux qu'entretient le requérant avec la Suisse, il est certes incontesté que la plupart de sa famille vit en Suisse, notamment ses parents ainsi que ses frères et soeurs. Or, à l'instar du Gouvernement, la Cour estime que, même à supposer que ces liens tombent dans le champ d'application de l'article 8 (voir Ezzouhdi, précité, § 34 ; et Kwakie-Nti et Dufie, décision précitée), l'éloignement du requérant du territoire suisse ne signifie nullement que les liens familiaux avec ses proches sont définitivement rompus, étant donné que des contacts réguliers peuvent être maintenus par les différents moyens de communication ainsi que par des visites de sa famille au Kosovo (voir, dans ce sens, Üner, précité, § 64).
55. La Cour rappelle ensuite que le requérant, entré en Suisse à l'âge de sept ans, y a effectué toute sa scolarité en Suisse et y a accompli un apprentissage de serrurier. Selon la Cour, il faut des circonstances assez exceptionnelles pour justifier l'éloignement d'un individu qui se trouve dans une telle situation (voir, dans ce sens, paragraphe 48 ci-dessus). Ces circonstances peuvent par exemple résider dans la gravité extraordinaire des infractions commises ( Üner, § 65). Ce qui semble pourtant plus important dans le cas d'espèce est le fait que le requérant a maintenu des liens assez forts avec son pays d'origine, ce qui distingue sa cause de certaines affaires tranchées par la Cour (voir, en particulier l'affaire Maslov, précité, § 97, dans laquelle le requérant ne parlait pas la langue bulgare et n'avait pas d'autres liens étroits avec son pays d'origine). En effet, l'on ne saurait prétendre que, dans le cas d'espèce, le requérant n'aurait plus d'autres attaches que la nationalité kosovare. Selon les observations du Gouvernement, non contestées par le requérant, il a passé les sept premières années de sa vie au Kosovo. En outre, il ressort de l'arrêt du Tribunal fédéral qu'il s'y est rendu fréquemment, notamment pendant ses vacances et les périodes de chômage, et qu'il possède encore des proches, notamment la famille de son épouse, avec laquelle, selon le Tribunal fédéral, il parle en albanais. A la lumière de ces circonstances, la Cour ne voit pas de raison de remettre en cause les conclusions des instances internes selon lesquelles les coutumes et habitudes en usage au Kosovo étaient encore familières au requérant (voir, dans ce sens, Gezginci, précité, §§ 73-75). Elle ne considère par ailleurs pas complètement dépourvu de fondement l'argument du Gouvernement selon lequel la formation de serrurier qu'il a suivie et accomplie avec succès en Suisse l'aiderait à s'intégrer professionnellement au Kosovo, en dépit de la situation économique difficile.
56. Enfin, pour apprécier la proportionnalité de l'ingérence, la Cour tient compte de la durée de l'interdiction de séjour( Ezzouhdi, précité, § 34, et Emre, précité, §§ 84-85, avec les nombreuses références). En l'espèce, la Cour constate que l'expulsion du requérant a été prononcée pour une période limitée, soit de dix ans. Il s'agit là d'un élément important qui distingue la cause du requérant de celle qui était à l'origine notamment des affaires précitées, dans lesquelles les intéressés étaient expulsés pour une durée illimitée ( ibid.).
57. Compte tenu de ce qui précède, et en particulier eu égard aux infractions commises par le requérant, vues dans leur ensemble, ainsi qu'aux attaches que le requérant maintient avec le Kosovo, dont témoigne notamment son mariage avec une ressortissante kosovare contracté en 2007, la Cour estime que l'Etat défendeur a ménagé un juste équilibre entre les intérêts privés du requérant, d'une part, et son propre intérêt à contrôler l'immigration, d'autre part.
58. Par conséquent, il n'y a pas eu violation de l'article 8 de la Convention.


Disposition

PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Déclare, à l'unanimité, la requête recevable ;
2. Dit, par quatre voix contre trois, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 8 de la Convention.
   
Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 novembre 2012, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley Naismith     Greffier
Ineta Ziemele     Présidente
   
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion séparée des juges Popovic, Karakas et Pinto de Albuquerque.
I.Z.
S.H.N.
OPINION DISSIDENTE COMMUNE DES JUGES POPOVIC, KARAKAS et PINTO DE ALBUQUERQUE
Nous estimons qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, pour les trois raisons suivantes.
Premièrement, les infractions commises par le requérant et les peines qui lui ont été infligées ne sont pas suffisamment graves pour justifier une expulsion, comme le démontre une analyse rigoureuse des ordonnances pénales internes.
En effet, le requérant a été condamné pour la première fois le 12 février 2003 à une peine de trois mois d'emprisonnement avec sursis, pour lésions corporelles par négligence( fahrlässige Körperverletzung ), comportement illicite dans un accident ( pflichtwidrigen Verhaltens bei Unfall ) et violation grave des règles de la circulation routière ( groben Verletzung der Verkehrsregeln ), infractions commises le 30 mars 2002. Il avait dix-neuf ans à la date de l'accident, lorsqu'il avait renversé une personne sur un passage pour piétons et avait ensuite pris la fuite. La victime avait été blessée au pied, au bras et au coude, mais il n'avait pas été établi si elle s'était vu prescrire un arrêt de travail à la suite des blessures subies et, le cas échéant, de combien de jours. Par contre, il ressort de l'ordonnance pénale que le requérant avait tenté d'éviter l'accident ( trotz versuchtem Ausweichmanöver ), qu'il avait encore peu de pratique de la conduite à l'époque, et qu'il avait reconnu les faits.
Toujours en 2003, le requérant a été condamné une deuxième fois à une peine de trente jours d'emprisonnement pour violation grave des règles de la circulation routière( groben Verletzung der Verkehrsregeln ), pour un excès de vitesse commis le 27 août 2003. L'intéressé a reconnu les faits. Selon l'ordonnance pénale, ceux-ci démontraient « au moins clairement un danger abstrait élevé d'accident » ( zumindest deutlich erhöhte abstrakte Unfallgefahr ). Aucun danger concret pour le trafic en général ou pour des tiers n'avait été établi.
L'année d'après, le requérant a été condamné une troisième fois à une peine de quarante-cinq jours d'emprisonnement avec sursis, pour une rixe( Raufhandel ), qui avait eu lieu le 20 septembre 2003. Dans l'ordonnance pénale, le juge d'instruction souligna que les faits reprochés dans cette affaire étaient différents de ceux des affaires antérieures, ce qui justifiait, selon lui, non seulement le sursis, mais aussi la non-révocation du sursis dont la peine de trois mois d'emprisonnement infligée le 12 février 2003 était assortie. De plus, la rixe avait duré à peine cinq minutes. Il n'avait pas été établi si le requérant et les huit autres participants à la rixe s'étaient vu prescrire un arrêt de travail et, le cas échéant, de combien de jours.
Finalement, trois ans après, le requérant a été condamné à une peine pécuniaire de 120 jours-amende de 90 francs suisses (CHF) ainsi qu'à une amende de 300 CHF pour utilisation abusive d'une installation de télécommunication ( Missbrauch einer Fernmeldeanlage ), menace ( Drohung ) et tentative de chantage ( versuchten Erpressung ). Dans le cadre d'un conflit et de discussions avec son ex-amie, le requérant avait menacé celle-ci de mort à plusieurs reprises entre février et avril 2007, sans à aucun moment passer à l'acte ou même tenter de le faire.
A noter que le requérant n'a jamais contesté les ordonnances pénales, qu'il a exécuté les peines pécuniaires et qu'il n'a purgé aucune peine d'emprisonnement. Après que l'office cantonal des étrangers( Ausländeramt ) l'eut averti à deux reprises que son autorisation de séjour lui serait retirée, le requérant a été expulsé de Suisse pour une durée de dix ans, la décision administrative ayant été prononcée peu après le dépôt par l'intéressé d'une demande de regroupement familial.
Si nous mettons en balance la nature des faits reprochés au requérant, la sévérité des peines infligées, sa conduite dans les procédures pénales avant et après le prononcé des ordonnances pénales, nous considérons la sanction de l'expulsion comme choquante.
A nos yeux, la nature des infractions ne justifiait pas la réaction de l'office cantonal des étrangers. Bien que blâmable, le comportement adopté par le requérant le 30 mars 2002 doit être considéré comme résultant de son inexpérience de la conduite automobile. De même, la bagarre à laquelle l'intéressé a participé le 20 septembre 2003 ne peut être comprise que comme un acte précipité et irréfléchi de la part d'un jeune homme de vingt ans. Un autre argument milite en ce sens : le juge a considéré que le requérant n'avait pas agi intentionnellement, mais avait au moins accepté que son comportement était de nature à provoquer des blessures (was er mit seinem Verhalten zumindest in Kauf nahm). Partant, c'est un dol éventuel que le juge a imputé au requérant. Il faut souligner que l'infraction de rixe vise la participation d'au moins trois personnes dans une bagarre entraînant la mort et/ou des lésions corporelles pour les participants ou pour des tiers qui ne peuvent être imputées spécifiquement à aucun des participants (voir, dans ce sens, les arrêts du Tribunal fédéral BGE 70 IV 128, BGE 71 IV 180, BGE 94 IV 106, BGE 104 IV 57, BGE 106 IV 250, BGE 131 IV 153, et dans la doctrine, par exemple, Günter Stratenwerth et Wolfgang Wohlers, Schweizerisches Strafgesetzbuch Handkommentar, Bern, Stämpfli, 2007, pp. 389-390). Autrement dit, le tribunal interne n'a pu imputer au requérant aucune lésion corporelle concrète, mais a seulement pu retenir contre lui sa participation avec dol éventuel à la bagarre.
Enfin, les faits concernant l'ex-amie du requérant ne sont pas aussi graves qu'une appréciation superficielle pourrait le laisser croire. A cet égard, il faut prendre en compte le fait qu'aucune enquête sur les lésions corporelles( Tätlichkeiten ) infligées par le requérant à son ex-amie n'a abouti à cause de l'inertie de la victime, qui a laissé s'écouler le délai prévu pour porter plainte, ce qui démontre clairement non seulement le manque d'intérêt de la victime mais aussi la gravité objectivement mineure des faits reprochés.
Au vu de l'ensemble des faits décrits, on ne peut raisonnablement soutenir que la nature et la gravité des infractions commises justifiaient une mesure d'expulsion (voir les principes fondamentaux en la matière établis dans l'arrêt Boultif c. Suisse (no 54273/00, § 48, CEDH 2001-IX) et affinés dans l'arrêt Üner c. Pays-Bas ([GC], no 46410/99, §§ 54-58, CEDH 2006-XII), et particulièrement dans l'affaire Bousarra c. France (no 25672/07, 23 septembre 2010), dans laquelle la Cour n'a pas jugé d'une gravité extrême l'infraction à la législation sur les stupéfiants, l'extorsion de fonds, la séquestration de personne et le port d'arme prohibé, punis de cinq ans d'emprisonnement, dont un an avec sursis, et l'affaire A.W. Khan c. Royaume-Uni (no 47486/06, 12 janvier 2010), dans laquelle la Cour n'a pas non plus considéré comme suffisante pour expulser l'intéressé la condamnation de celui-ci à sept ans d'emprisonnement pour l'infraction de trafic illégal de stupéfiants). A ce point, il faut ajouter que l'article 10 de l'ancienne loi suisse du 26 mars 1931 sur le séjour et l'établissement des étrangers, qui prévoyait l'expulsion à la suite d'une simple condamnation par une autorité judiciaire pour crime ou délit et ne subordonnait l'expulsion qu'à un critère très vague (« si elle apparaît appropriée à l'ensemble des circonstances »), ne reflète pas l'approche de la Cour.
Deuxièmement, le requérant habitait avec la plupart des membres de sa famille - parents, soeurs et frères - en Suisse depuis presque vingt ans, y avait effectué toute sa scolarité et y exerçait son métier qui lui rapportait un salaire mensuel de 3 500 CHF en 2007. Nous sommes frappés par le fait que le Tribunal fédéral a ignoré ces aspects de la vie personnelle et professionnelle du requérant, qui démontrent que celui-ci était intégré dans la société suisse et renforcent donc la conclusion selon laquelle la sanction d'expulsion revêtait un caractère excessif et disproportionné.
Troisièmement, le fait que le requérant s'était marié au Kosovo en septembre 2007 avec une ressortissante de ce pays ne saurait imposer une conclusion différente. En effet, il voulait fonder une famille en Suisse avec sa femme et a été empêché de concrétiser son choix de vie, précisément en raison de la décision d'expulsion prise peu après sa demande de regroupement familial. Sans préjuger de la politique du canton de Schaffhouse concernant les étrangers, il nous semble préoccupant que la punition ait été prononcée comme une réponse à la demande de regroupement familial.
En résumé, nous ne trouvons pas justifié qu'une société démocratique puisse se permettre d'interrompre, sans de très fortes raisons, le cours normal de la vie familiale et professionnelle d'un étranger aussi bien intégré que le requérant l'était. Ce sont ces raisons qui ont manqué en l'espèce. Partant, la mesure d'expulsion du requérant n'était, à notre sens, pas nécessaire dans une société démocratique.

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Article: Art. 8 CEDH