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Chapeau

99 II 303


41. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 18 septembre 1973 dans la cause K. contre H.

Regeste

Prêt partiaire.
Prêt partiaire ou société simple? La participation aux pertes ne constitue pas un critère distinctif déterminant. Prise en considération de l'ensemble des circonstances, notamment de la façon dont les parties exécutent leur contrat.

Considérants à partir de page 303

BGE 99 II 303 S. 303

2. a) Les prétentions du demandeur reposent sur l'existence d'une société simple. Il lui appartient dès lors selon l'art. 8 CC d'établir la conclusion d'un tel contrat par les parties (RO 57 II 173; arrêt non publié Sparapano c. Schneider, du 31 octobre 1972, consid. 1a).
b) ...
BGE 99 II 303 S. 304

3. Aux termes de l'exposé préliminaire de la convention du 3 septembre 1960, la défenderesse se propose de construire un immeuble dont elle sera propriétaire; les fonds propres investis dans cette entreprise seront de l'ordre de 250 000 fr., la défenderesse apportant elle-même 100 000 fr. et le solde de 150 000 fr. lui étant prêté par le demandeur; ce dernier entend participer aux risques et profits de l'immeuble.
Les parties ne pouvaient raisonnablement donner à ce préambule que le sens suivant: le demandeur prêtait à sa belle-soeur 150 000 fr. environ, soit les 3/5 des fonds propres nécessaires au financement de la construction projetée, moyennant participation aux profits et aux risques.
Quant à la convention elle-même, elle ne comporte que deux clauses, l'une relative à la répartition en cas de réalisation de l'immeuble de "la perte subie ou (du) bénéfice réalisé sur le prix de vente par rapport au coût de construction", l'autre prévoyant un "taux de l'intérêt annuel versé à Wolf Hagelberg" variable, mais limité à 8% au maximum.
Contrairement à ce que pense le Tribunal cantonal, cette dernière clause constitue un indice de poids en faveur de la thèse du prêt. Les expressions "solde ... prêté" et "taux de l'intérêt" sont parfaitement claires; elles ne sont partant pas susceptibles d'une interprétation au détriment du rédacteur. S'agissant d'une convention rédigée par un juriste, dans un cadre familial où régnaient l'entente et la confiance, on doit présumer que ces expressions ont été utilisées à bon escient et comprises dans leur sens propre par le cocontractant, qui n'apparaît nullement comme un néophyte en affaires (RO 48 II 229). L'autorité cantonale ne constate pas, après avoir apprécié des preuves administrées, que les parties se seraient entendues lors de la conclusion du contrat pour lui attribuer un sens différent de sa signification usuelle, ce qui relèverait du fait et lierait le Tribunal fédéral (RO 95 II 553 consid. 4 a et les arrêts cités, 96 II 148 s.). Elle se borne à considérer l'engagement du demandeur de participer aux pertes en cas de réalisation de l'immeuble comme suffisant pour que soit réalisé l'animus societatis et que l'on doive dès lors admettre l'existence d'une société simple tacite, nonobstant les termes utilisés par ailleurs dans la convention.

4. Se référant à l'opinion de GRAF (Das Darlehen mit Gewinnbeteiligung oder das partiarische Darlehen, besonders seine Abgrenzung von der Gesellschaft, thèse Zurich 1951, p. 49
BGE 99 II 303 S. 305
et 71), le Tribunal cantonal considère qu'il n'y a pas prêt partiaire lorsque le bailleur de fonds s'engage à participer aux pertes de l'entreprise. En pareil cas, la convention n'est pas un prêt de consommation, mais autre chose; si elle n'a pas les caractéristiques d'un autre contrat, elle ne peut être qu'une société simple. L'animus societatis existe du seul fait que le bailleur de fonds participe non seulement aux bénéfices, mais aussi aux pertes de l'entreprise.
a) Le prêt partiaire diverge du prêt de consommation classique en ce qu'il comporte un élément aléatoire: la rémunération du prêteur dépend du succès d'une entreprise ou d'une opération déterminée de l'emprunteur. Le prêteur, pour être à même de vérifier l'exactitude du calcul de sa rémunération, jouit d'un certain droit de surveillance sur l'activité de l'emprunteur. Mais il n'en devient pas pour autant l'associé. Il n'entend pas participer à la gestion ni aux responsabilités de l'entreprise. Il ne répond pas envers les créanciers de l'emprunteur. Il lui manque ainsi l'animus societatis, soit la volonté de mettre en commun des biens, ressources ou activités en vue d'atteindre un objectif déterminé, d'exercer une influence sur les décisions et de partager non seulement les risques et les profits, mais surtout la substance même de l'entreprise. Cette volonté résulte de l'ensemble des circonstances et non pas de la présence ou de l'absence de l'un ou l'autre élément (cf. CROME, Die partiarischen Rechtsgeschäfte, Fribourg-en-Brisgau 1897, p. 377; EGGER, Die rechtliche Natur der stillen Beteiligung an einem Unternehmen, dans Ausgewählte Schriften und Abhandlungen, Zurich 1957, II p. 207 s.; SOERGEL/SIEBERT, Kommentar zum Bürgerlichen Gesetzbuch, n. 14 ad vor § 705). En déduisant l'animus societatis du seul engagement du demandeur de participer aux pertes de l'entreprise, l'autorité cantonale a méconnu l'importance des conditions de l'existence d'une société, notamment de la volonté commune des partenaires d'assumer les obligations sociales que leur imposent les art. 530 ss. CO.
b) En l'espèce, si la participation du demandeur lui conférait la qualité d'associé, il serait non seulement copropriétaire pour 3/5 de l'immeuble constituant la fortune sociale, mais aussi codébiteur pour la même part des dettes hypothécaires. Or il n'a jamais prétendu rien de tel. La défenderesse, seule propriétaire de l'immeuble, inscrite à ce titre au registre foncier, a dû assumer toute la charge et les risques de la construction, toute la responsabilité
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envers les tiers des dettes de l'entreprise. Cette situation est incompatible avec l'existence d'un contrat de société. Le demandeur n'a jamais allégué non plus que la défenderesse aurait été propriétaire à titre fiduciaire seulement des 3/5 de l'immeuble, ce qui paraîtrait d'ailleurs invraisemblable au regard de l'ensemble des circonstances.
c) La participation aux profits et aux risques n'est pas propre aux seules sociétés; c'est une caractéristique commune à tous les contrats partiaires, d'ailleurs consacrée en dehors du droit des sociétés, dans certains cas par le législateur (art. 275 al. 2 et 3 CO pour le colonage partiaire; art. 322 a CO pour le contrat de travail avec participation de l'employé au résultat de l'exploitation; art. 389 al. 2 CO pour le contrat d'édition avec participation de l'auteur au résultat de la vente), dans d'autres par la jurisprudence (RO 23 II 1063 consid. 3 pour le contrat de courtage; RO 83 II 38 pour le contrat d'agence).
Il est vrai que le Tribunal fédéral a considéré dans l'arrêt non publié Scherk c. Thorens et Filipinetti, du 7 juillet 1953, que "le critère qui permet de distinguer entre le contrat de prêt, même partiaire, et le contrat de société est la question de la participation aux pertes". Mais il est revenu sur cette affirmation trop absolue dans l'arrêt Herren c. Poncet, du 7 mai 1968; la demanderesse, dame Herren, s'était engagée à diffuser un ouvrage édité par la défenderesse moyennant une commission d'un tiers du produit des ventes, une fois les frais d'édition couverts; le Tribunal fédéral considère que "la rémunération de dame Herren est aléatoire et lui fait partager dans une large mesure les risques et les profits de l'entreprise. Cet élément, caractéristique de tous les contrats partiaires, ne suffit cependant pas pour qu'il y ait société" (RO 94 II 126).
La participation aux risques et pertes ne saurait constituer le critère décisif pour déterminer la nature du contrat, puisqu'elle est commune à la société et aux contrats partiaires (BECKER, n. 9 ad art. 530 CO; BROSSET, Le prêt partiaire, FJS 754 p. 1 A; EGGER, op.cit., p. 207 et 202, avec référence à EUGEN HUBER, Bericht zum ersten Vorentwurf zum rev. OR, p. 30 s.; SOERGEL/SIEBERT, loc.cit.). GUHL/MERZ/KUMMER (Obligationenrecht, 6e éd.), que le Tribunal cantonal cite à l'appui de sa thèse, n'expriment pas une opinion contraire; ils se bornent à mentionner la participation aux pertes comme un élément parmi d'autres de la société (p. 525 s., 552).
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5. Les parties liées par un contrat générateur d'obligations de longue durée révèlent en assumant celles-ci de manière déterminée le contenu qu'elles leur attribuent. La façon dont elles exécutent leur contrat d'un commun accord constitue ainsi un facteur propre à en fixer la portée, quand elle n'implique pas une modification de la convention originaire (arrêt non publié Mozer c. Dufour, du 6 février 1968, consid. 5; MERZ, n. 155 et 156 ad art. 2 CC; cf. aussi RO 57 II 452, 83 II 280).
En l'espèce, il est constant que les parties ont exécuté en tous points la convention initiale, à cette différence près que les sommes investies n'ont atteint que 138 000 fr. pour le demandeur et 92 000 fr. pour la défenderesse, la proportion de 3/5 et 2/5 prévue étant maintenue et le surplus n'étant apparemment pas nécessaire au financement. Le demandeur admet implicitement avoir reçu l'intérêt annuel convenu jusqu'au 12 juin 1967, date du remboursement de 142 000 fr., puisqu'il ne réclame un intérêt qu'à partir de ce jour, dans ses conclusions. Aux termes de l'arrêt déféré, la défenderesse a acquis le 25 novembre 1960 le terrain sur lequel a été construit l'immeuble. Elle a procédé seule et à son nom à toutes les opérations en relation avec l'achat du bien-fonds, la construction et la gérance de l'immeuble. Le demandeur a eu connaissance des comptes de l'exploitation. Les difficultés n'ont surgi que lorsqu'il a réclamé, après la mort de Georges Klunge, un intérêt supérieur au taux de 8% prévu à l'art. II de la convention.
Le demandeur manifestait ainsi le désir d'obtenir une rémunération équivalant approximativement à une part d'associé, c'est-à-dire lui assurant proportionnellement le même revenu que la défenderesse. Cette dernière s'est opposée à cette modification du contrat et a prétendu pouvoir se libérer en remboursant le prêt consenti. C'est l'avocat du demandeur qui, en acceptant le versement annoncé "dans le cadre des rapports sociaux", s'est placé pour la première fois sur le terrain de la société simple, plus de six ans après la conclusion du contrat.
Le comportement des parties révèle qu'elles n'ont nullement compris la convention du 3 septembre 1960 en ce sens qu'elle leur conférait la qualité d'associés. Le demandeur lui-même ne s'est pas prévalu de cette qualité avant l'intervention de son conseil.

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