141 III 49
Chapeau
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8. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit civil dans la cause A.A. contre B.A. (recours en matière civile)
5A_473/2014 du 19 janvier 2015
Regeste
Possibilité, pour des prétentions de droit commun entre époux, de porter intérêt.
Faute de réglementation particulière découlant du droit matrimonial, cette question s'examine au regard des dispositions du droit des obligations, à tout le moins lorsque l'union est soumise au régime de la séparation de biens (consid. 5.2).
A. A.A. (1957) et B.A. (1956) se sont mariés le 30 août 1991. Le 3 septembre de la même année, ils ont conclu devant notaire un contrat de mariage prévoyant qu'ils adoptaient le régime matrimonial de la séparation de biens, avec effet rétroactif à la date de leur mariage. Durant le mariage, B.A. s'est porté caution solidaire d'une dette contractée par A.A. auprès d'une banque. Suite à la faillite de A.A., B.A. a contracté un emprunt et le montant qu'il a ainsi obtenu a immédiatement servi à éteindre la dette de son épouse.
Par jugement du 6 novembre 2012, le Tribunal civil de la Sarine a prononcé leur divorce. Par arrêt du 26 février 2014, la Ie Cour
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d'appel civil du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg a partiellement réformé le jugement et notamment condamné A.A. à payer à B.A. la somme de 53'089 fr., avec intérêts à 5 % l'an dès le 22 novembre 2004.
B. Dans le cadre de son recours au Tribunal fédéral, A.A. affirme que la somme de 53'089 fr. qu'elle est condamnée à payer à B.A. ne porte pas intérêt.
(résumé)
Extrait des considérants:
5.1 Dès lors que les parties étaient mariées au moment où la prétention récursoire de l'intimé (caution) envers la recourante (débitrice principale) est née, il convient tout d'abord d'examiner si le droit matrimonial prévoit des règles particulières qui dérogeraient à celles qui ressortent du Code des obligations concernant les intérêts.
5.2.1 Le régime matrimonial n'exerce pas d'influence sur l'exigibilité des dettes entre les époux (art. 203 al. 1, 235 al. 1 et 250 al. 1 CC), pas plus que sur la naissance des obligations. Le législateur a ainsi voulu éviter que les créances qui ne seraient pas exigibles en vertu du droit commun le deviennent, et par conséquent soient saisissables, uniquement parce qu'elles appartiennent à un époux contre son conjoint. Cela reviendrait en effet à discriminer l'époux qui est débiteur de son conjoint par rapport à d'autres débiteurs (Message du 11 juillet 1979 concernant la révision du code civil suisse [Effets généraux du mariage, régimes matrimoniaux et successions], FF 1979 II 1252 ch. 217.323). En principe, il y a donc lieu d'appliquer les règles générales du droit aux dettes entre époux (FF 1979 II 1292 ch. 222.4).
Ainsi, dès qu'une dette est exigible, l'époux créancier peut en réclamer le paiement, au besoin par les moyens de l'exécution forcée. Mais il peut aussi différer sa réclamation sans avoir à redouter la perte de sa créance; en effet, l'art. 134 al. 1 ch. 3 CO prévoit expressément que la prescription ne court point et, si elle avait commencé à courir, qu'elle est suspendue à l'égard des créances des époux l'un contre l'autre, pendant le mariage. Les art. 203 al. 2, 235 al. 2 et 250 al. 2 CC apportent une autre atténuation à la rigueur du droit, en art. 159 al. 2 et 3 CC ) imposent en effet au créancier d'user de ménagements envers son conjoint. Le sursis au paiement ne peut cependant d'emblée être imposé à l'époux créancier sans que sa créance soit de quelque façon garantie, si du moins on peut attendre du débiteur qu'il y pourvoie. Les délais de paiement ne seront dès lors accordés qu'à charge de fournir des sûretés si les circonstances le justifient (art. 203 al. 2 in fine, 235 al. 2 in fine et 250 al. 2 in fine CC; FF 1979 II 1292 ch. 222.4).
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considération du fait que les époux ne sont pas dans la situation de créancier et de débiteur quelconques (FF 1979 II 1292 ch. 222.4). Selon ces dispositions, lorsque le règlement d'une dette ou la restitution d'une chose expose l'époux débiteur à des difficultés graves qui mettent en péril l'union conjugale, celui-ci peut solliciter des délais de paiement. Les égards que se doivent les époux (
5.2.2 Les dispositions relatives au droit matrimonial ne prévoient pas - à tout le moins pas expressément - que les dettes entre époux découlant d'une obligation de droit commun (contrat, acte illicite, enrichissement illégitime) ne porteraient jamais intérêt. Quant au Message du Conseil fédéral (FF 1979 II 1179), il est également muet sur la question des intérêts de telles dettes entre époux.
Selon la doctrine majoritaire, sauf convention contraire ou décision contraire du juge, les dettes entre époux ne portent pas intérêt (HAUSHEER/AEBI-MÜLLER, in Basler Kommentar, Zivilgesetzbuch, vol. I, 5e éd. 2014, n° 16 ad art. 203 CC; DESCHENAUX/STEINAUER/BADDELEY, Les effets du mariage, 2e éd. 2009, n° 1094 p. 519; PAUL-HENRI STEINAUER, in Commentaire romand, Code civil, vol. I, 2010, n° 12 ad art. 203 CC; STETTLER/WAELTI, Le régime matrimonial, 2e éd. 1997, n. 301 p. 161; HAUSHEER/REUSSER/GEISER, Berner Kommentar, 1992, n° 52 ad art. 203 CC p. 565; contra: PAUL PIOTET, Le régime matrimonial suisse de la participation aux acquêts, 1986, p. 26). Les auteurs qui défendent cette opinion se fondent sur le fait que les art. 203, 235 et 250 CC ne prévoient pas expressément que les dettes entre époux portent intérêt, contrairement à ce qui ressort de l'art. 218 CC. Cette dernière disposition, qui concerne le règlement de la créance de participation et de la part à la plus-value dans le régime de la participation aux acquêts, dispose - tout comme les art. 203 al. 2, 235 al. 2 et 250 al. 2 CC - que l'époux débiteur exposé à des difficultés graves en cas de règlement immédiat des prétentions précitées peut solliciter des délais de paiement; contrairement aux art. 203 al. 2, 235 al. 2 et 250 al. 2 CC, qui sont muets sur la
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question, elle précise que sauf convention contraire, l'époux débiteur doitdes intérêts dès la clôture de la liquidation et peut être tenu de fournir des sûretés si les circonstances le justifient.Le Tribunal fédéral a déjà eu l'occasion d'expliquer que l'art. 218 al. 2 CC permettait de préciser que les intérêts sur la créance de participation et la part à la plus-value ne commencent à courir qu'à compter de la liquidation du régime matrimonial, puisque les acquêts existant à la dissolution du régime sont estimés à leur valeur à l'époque de la liquidation (art. 214 al. 1 CC). Le législateur a estimé que jusqu'à la liquidation effective du régime matrimonial, les conjoints participent tant aux augmentations qu'aux diminutions de la valeur des acquêts. En cas de liquidation judiciaire, les intérêts commencent donc à courir au moment de l'entrée en force du jugement (arrêt 5A_599/2007 / 5A_626/2007 du 2 octobre 2008 consid. 10.1 et les références). En définitive, l'art. 218 al. 2 CC permet de déterminer le point de départ des intérêts qui courent sur la créance de participation et la créance de plus-value, à savoir deux créances qui reposent sur le droit matrimonial, dans le cadre du régime de la participation aux acquêts. On ne saurait en tirer une dérogation aux règles générales du droit des obligations s'agissant des prétentions entre époux découlant d'obligations de droit commun, à tout le moins s'agissant d'époux mariés sous le régime de la séparation de biens. Enfin, le seul devoir d'assistance entre époux ( art. 159 al. 2 et 3 CC ) ne suffit pas à fonder une présomption générale selon laquelle l'ensemble des dettes entre époux découlant du droit commun ne porteraient jamais intérêts tant que dure le mariage. Pour de telles prétentions, le législateur renvoie aux règles générales du droit (FF 1979 II 1292 ch. 222.4); il a par ailleurs expressément prévu les exceptions qu'il entendait apporter à ce régime (notamment aux art. 134 al. 1 ch. 3 CO [prescription], 111 al. 1 ch. 1 LP [participation privilégiée à la saisie], 203 al. 2, 235 al. 2 et 250 al. 2 CC [délais de paiement]). Pour ces motifs, le point de savoir si une dette de droit commun entre époux porte intérêt doit être analysé, en principe, selon les règles du droit des obligations (dans le même sens PIOTET, op. cit., p. 26), à tout le moins lorsque les époux sont mariés sous le régime de la séparation de biens.