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13791/02


Cheridjian Karkour, Cheridjian Yvonne c. Suisse
Décision d'irrecevabilité no. 13791/02, 14 juin 2005




Faits

La Cour européenne des Droits de l'Homme (quatrième section), siégeant le 14 juin 2005 en une chambre composée de :
Sir Nicolas Bratza, président,
MM. J. Casadevall,
L. Wildhaber,
G. Bonello,
S. Pavlovschi,
L. Garlicki,
J. Borrego Borrego, juges,
et de M. M. O'Boyle, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 13 juin 2001,
Vu la décision de se prévaloir de l'article 29 § 3 de la Convention et d'examiner conjointement la recevabilité et le fond de l'affaire,
Vu la décision de traiter en priorité la requête en vertu de l'article 41 du règlement de la Cour,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
A. Les circonstances de l'espèce
Les requérants, M. Karkour et Mme Yvonne Cheridjian, de nationalité égyptienne, étaient un couple marié. Ils sont nés respectivement en 1910 et 1919. La deuxième requérante est décédée en 2002. Le premier requérant, qui a décidé de poursuivre la requête également au nom de la requérante, réside au Grand Lancy, en Suisse. Ils sont représentés devant la Cour par Me Marlène Pally, avocate au Grand Lancy.
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le 30 mars 1999, le requérant se rendit dans une clinique, à Genève, pour un problème intestinal. Après un examen, le médecin lui suggéra une hospitalisation en lui expliquant le risque d'une issue fatale de sa condition, en l'absence de soins appropriés. Le requérant refusa l'hospitalisation. Il fut ensuite entendu par un psychiatre qui estima qu'il n'était pas capable de discernement, s'agissant de sa perception par rapport au danger qu'il courait. Après l'entretien, le requérant regagna son domicile.
Le 31 mars 1999, vers minuit et demi, le médecin de permanence à la clinique, craignant pour la santé du requérant, envoya deux ambulanciers et deux policiers au domicile des requérants. Ils refusèrent d'ouvrir la porte. Un serrurier fut appelé, qui ouvrit la porte. Les ambulanciers pénétrèrent alors dans l'appartement et une discussion eut lieu avec les requérants qui s'opposèrent à l'hospitalisation du requérant. Les policiers vinrent aider les ambulanciers pour prendre le requérant en charge. Un des policiers saisit le bras de la requérante qui tomba par terre. Finalement, le requérant fut emmené de force hors de l'appartement, sanglé sur la civière et conduit à l'hôpital. Il fut ensuite examiné par le médecin des urgences, qui le renvoya chez lui après avoir constaté sa capacité de discernement.
Le matin du même jour, les requérants se soumirent à un examen médical qui attesta d'hématomes résultant de l'altercation du soir précédent.
Le 9 avril 1999, les requérants déposèrent une plainte pénale pour violation de domicile, voies de fait, séquestration et abus d'autorité contre les agents de police. Ils se constituèrent partie civile.
Le 20 mai 1999, le procureur général du canton de Genève classa la plainte. Les requérants recoururent contre le classement.
Le 15 septembre 1999, la chambre d'accusation rejeta le recours ; tout en reconnaissant que
« Sur le plan objectif, il apparaît, au vu des faits décrits ci-dessus, que les éléments constitutifs des délits invoqués par les recourants, en particulier ceux de la violation de domicile, de voies de faits et probablement de séquestration, sont réunis ; il est en effet indéniable que les agents mis en cause, accompagnés de deux ambulanciers, ont pénétré dans l'appartement des recourants contre la volonté de ceux-ci, qu'ils se sont saisis, de force, [du requérant], qui fut alors temporairement privé de sa liberté, puisqu'il a été emporté sur une civière et conduit contre son gré à l'Hôpital cantonal.
De même, objectivement, il n'apparaissait pas nécessaire d'intervenir à une heure avancée de la nuit pour se saisir [du requérant] - qui ne faisait l'objet d'aucune décision de privation de liberté à des fins d'assistance, ni au sens de la loi genevoise K. 1. 12 [Loi sur le régime des personnes atteintes d'affections mentales et sur la surveillance des établissements psychiatriques ; cote actuelle : K. 1. 25], ni au sens du code civil - et de le conduire aux urgences de l'hôpital ; en effet, le danger qui menaçait sa santé n'était apparemment pas imminent, puisque les médecins qui l'y ont alors examiné lui ont permis de retourner à son domicile en se bornant à lui prescrire un traitement médicamenteux pour une période de 14 jours.
Ainsi, sur le plan objectif toujours, il est vraisemblable que l'intervention policière litigieuse n'ait été ni justifiée par un état de nécessité, ni proportionnée aux circonstances et qu'elle soit constitutive d'un abus d'autorité, si l'on retient qu'il entre dans les fonctions de la police d'effectuer des conduites à la demande des médecins, problème qui en l'état peut demeurer indécis.
Le Procureur général relève toutefois avec raison que l'on ne saurait retenir in casu, avec une vraisemblance suffisante, l'existence d'une intention délictueuse de la part des policiers mis en cause ; ces derniers sont en effet intervenus à la demande de la CECAL, et à la suite des explications qui leur ont été fournies sur place par les ambulanciers ; aux termes de ces dernières, la vie [du requérant] était en danger et son médecin estimait indispensable et urgent qu'il soit hospitalisé. Les agents ont ainsi légitimement pu croire que leur intervention était nécessaire et justifiée. »
Les requérants, représentés par un avocat, recoururent au Tribunal fédéral contre cette décision.
Le 13 décembre 1999, le Tribunal fédéral admit leur recours, considérant que la chambre d'accusation avait violé leur droit d'être entendus en ne procédant pas aux instructions demandées.
Le 3 mars 2000, la chambre d'accusation annula la décision de classement du procureur général en l'invitant à ouvrir une information préparatoire.
Le 31 mai 2001, le procureur général, après avoir exécuté un complément d'instruction, classa à nouveau la plainte. Il considéra que les agents de police avaient été mis en oeuvre par les médecins du requérant, inquiets pour sa santé, que la force n'avait été utilisée qu'après une longue discussion, et que la requérante n'avait été que repoussée légèrement et non violentée. Les requérants recoururent contre la décision, invoquant le manque de proportionnalité de l'intervention policière.
Le 13 septembre 2001, la chambre d'accusation rejeta le recours. Elle informa les requérants qu'ils pouvaient se pourvoir en nullité devant le Tribunal fédéral.
Le 18 octobre 2001, les requérants, qui n'étaient plus représentés par un avocat à ce stade de la procédure, s'adressèrent au Tribunal fédéral par un courrier intitulé « recours ». Ils contestèrent les faits établis par la chambre d'accusation et soutinrent que « l'intervention policière n'était pas proportionnée ».
Le 8 novembre 2001, le Tribunal rejeta le recours, qu'il qualifia comme recours de droit public, au motif que les requérants s'étaient contentés de contester les faits établis et qu'ils n'avaient pas satisfait aux exigences formelles du recours de droit public, ancrées à l'article 90 de la Loi fédérale d'organisation judiciaire.
B. Le droit interne pertinent
L'article 90 de la Loi fédérale sur l'organisation judiciaire est libellé ainsi dans sa partie pertinente :
Acte de recours
1. Outre la désignation de l'arrêté ou de la décision attaqués, l'acte de recours doit contenir:
a. les conclusions du recourant;
b. un exposé des faits essentiels et un exposé succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques violés, précisant en quoi consiste la violation.
2. (...).
GRIEFS
1. Invoquant l'article 3 de la Convention, les requérants se plaignent d'avoir subi un traitement dégradant de la part des policiers venus à leur domicile.
2. Invoquant l'article 5 de la Convention, le premier requérant se plaint d'avoir été privé de sa liberté sans base légale lorsqu'il a été emmené de force à l'hôpital par les policiers.
3. Invoquant l'article 8 de la Convention, les requérants se plaignent d'avoir subi une violation de leur droit au respect de leur vie privée et de leur domicile lors de l'irruption forcée des agents dans leur appartement.


Considérants

EN DROIT
Les requérants soulèvent des griefs tirés des articles 3, 5 et 8 de la Convention.
Le Gouvernement soutient pour les trois griefs soulevés par les requérants, que les voies de recours internes n'ont pas été épuisées, les requérants n'ayant pas étayé leur recours au Tribunal fédéral. Le Gouvernement, dans ses observations, fait valoir que le requérant a envoyé au Tribunal fédéral une simple lettre qu'il a intitulée recours sans en mentionner le type. Le contenu de ce document se limitait strictement à une contestation des faits tels qu'établis précédemment par le procureur général puis la chambre d'accusation. Le Tribunal fédéral a considéré cette lettre comme étant un recours de droit public alors qu'une autre voie de droit était prescrite dans la décision de l'instance inférieure. De plus, le Gouvernement insiste sur le fait que les requérants n'ont pas démontré en quoi leurs droits au regard de la Convention avaient été violés, n'ayant pas mentionné d'articles ni le contenu de ceux-ci ainsi qu'ils l'ont ensuite fait devant la Cour.
Les requérants estiment, quant à eux, avoir épuisé les voies de recours internes, ayant introduit un recours devant la plus haute autorité juridictionnelle suisse, à savoir le Tribunal fédéral, avant de s'adresser à la Cour. En ce qui concerne l'intitulé du recours, les requérants rappellent qu'ils n'étaient pas représentés par un avocat pour la procédure interne et qu'on ne saurait donc leur reprocher de n'avoir pas rempli une telle formalité. De même, ils n'auraient pas pu invoquer les dispositions légales adéquates, manquant des connaissances juridiques nécessaires.
La Cour rappelle que le système de la Convention revêt un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l'homme. La finalité de l'article 35 de la Convention est ainsi de ménager aux Etats contractants l'occasion de prévenir ou redresser les violations alléguées contre eux avant qu'elles ne soient soumises aux organes de la Convention. Ainsi, le grief dont on entend saisir la Cour doit d'abord être soulevé, au moins en substance, dans les formes et délais prescrits par le droit interne, devant les juridictions nationales appropriées(Ankerl c. Suisse, arrêt du 23 octobre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, § 34). Dans le cas d'espèce, les requérants ont certes introduit dans les délais prescrits un recours auprès du Tribunal fédéral ; cependant, ils n'ont pas respecté les exigences de formes requises, à savoir l'utilisation d'un recours approprié. De plus, leur recours ne contenait pas « un exposé des faits essentiels et un exposé succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques violés, précisant en quoi consiste la violation » tel qu'exigé par le droit interne. Au contraire de l'affaire Ankerl précitée, le recours des requérants au Tribunal fédéral ne faisait aucune mention d'articles de la Convention dont ils entendaient se plaindre. Le Tribunal fédéral n'a ainsi pas pu identifier les griefs des requérants tels qu'ils ont été soumis à la Cour et se prononcer sur le fond de la cause. En effet, un recours de droit public motivé aurait permis au Tribunal fédéral de se pencher sur les griefs des requérants, tels que soulevés devant la Cour et de procéder à un examen sur le fond. En l'espèce, les requérants se sont contentés dans leur mémoire adressé au Tribunal fédéral, de critiquer l'appréciation des faits sans pour autant mentionner les violations dont ils allèguent devant la Cour.
La Cour note également que l'article 35 de la Convention prévoit une répartition de la charge de la preuve. Il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu'en pratique à l'époque des faits, c'est-à-dire qu'il était accessible, était susceptible d'offrir au requérant le redressement de ses griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès. Cependant, une fois cela démontré, c'est au requérant qu'il revient d'établir que le recours évoqué par le Gouvernement a en fait été employé ou bien, pour une raison quelconque, n'était ni adéquat ni effectif compte tenu des faits de la cause ou encore que certaines circonstances particulières le dispensaient de cette obligation (Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 76, CEDH 1999-V). La Cour juge convaincants les arguments avancés par le Gouvernement dans le cas d'espèce, en ce qui concerne l'accessibilité du recours. Au contraire, elle estime que les requérants n'ont su démontrer qu'ils avaient bel et bien introduit un recours permettant un examen sur le fond de leurs griefs au niveau interne. L'effectivité du recours disponible n'est pas contestée par les parties.
Au surplus, s'il existe des situations dans lesquelles il n'est pas nécessaire pour des requérants d'épuiser les voies de recours internes(Akdivar et autres c. Turquie, arrêt du 16 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, § 68), la Cour estime que le cas d'espèce ne présente pas d'éléments exceptionnels qui auraient été susceptibles de dispenser les requérants de leur obligation au niveau interne. Il n'apparaît notamment pas qu'ils ont demandé de l'assistance judiciaire gratuite pour la procédure devant le Tribunal fédéral.
Il s'ensuit que l'ensemble des griefs des requérants doivent être rejetés pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.


Disposition

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Décide de mettre fin à l'application de l'article 29 § 3 de la Convention ;
Déclare la requête irrecevable.
Michael O'Boyle Nicolas Bratza
Greffier Président