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65840/09


Ouardiri Hafid c. Suisse
Décision sur la recevabilité no. 65840/09, 28 juin 2011

Regeste

DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ de la CourEDH:
SUISSE: Art. 9 et 14 CEDH. Interdiction de la construction de minarets.

L'intéressé se plaint que la disposition constitutionnelle heurte ses convictions religieuses. Toutefois, il ne fait pas valoir que celle-ci a déployé un effet concret à son égard. Il n'est donc pas directement victime d'une violation de la Convention. En l'absence d'allégations quant aux effets de la modification constitutionnelle sur ses proches, il n'est pas non plus une victime indirecte. Enfin, il n'a pas soutenu qu'il pourrait envisager dans un avenir proche la construction d'une mosquée pourvue d'un minaret et n'a donc pas rendu vraisemblable que la disposition constitutionnelle puisse lui être appliquée. La simple éventualité que cela puisse être le cas dans un avenir plus ou moins lointain n'est pas suffisante. Le requérant ne saurait dès lors se prétendre victime potentielle. Sa requête s'apparente à une action populaire au travers de laquelle il cherche à faire contrôler in abstracto, au regard de la Convention, la disposition constitutionnelle litigieuse. De surcroît, selon la Cour, les juridictions suisses seraient en mesure d'examiner la compatibilité avec la Convention d'un éventuel refus d'autoriser la construction d'un minaret.
Conclusion: requête déclarée irrecevable.



DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ de la CourEDH:
SUISSE: Art. 13 CEDH. Interdiction de la construction de minarets. Voie de recours interne.

L'art. 13 CEDH ne va pas jusqu'à exiger un recours par lequel on puisse dénoncer devant une autorité nationale la législation d'un État comme étant contraire à la Convention. Dès lors que le cas d'espèce concerne le contenu d'une disposition constitutionnelle et non une mesure individuelle d'application, le grief tiré de la violation de l'art. 13 est manifestement mal fondé.
Conclusion: requête déclarée irrecevable.



Synthèse de l'OFJ
(3ème rapport trimestriel 2011)

Les requérants font valoir que la disposition constitutionnelle qui interdit la construction de minarets viole la liberté de religion et les discrimine du fait de leur religion. Un des requérants invoque en outre le droit à un recours efficace et se plaint de l'absence d'un recours efficace permettant la constatation judiciaire de l'éventuelle non-conformité de la norme constitutionnelle avec la Convention.

La Cour a constaté que les requérants ne sont pas victimes d'une violation de la Convention. Ils n'ont pas réussi à démontrer que la disposition constitutionnelle litigieuse les affectait concrètement ou affectait leurs activités. Ils n'ont en outre pas fait valoir qu'ils avaient l'intention d'ériger un minaret et la simple possibilité de la construction future d'un minaret ne suffit pas. Il n'existe pas, en l'espèce, de circonstances tout à fait exceptionnelles susceptibles de justifier la qualité de victimes des requérants. Se référant à un arrêt du Tribunal fédéral, l'arrêt dispose que, dans un cas d'application concret, le Tribunal fédéral pourrait examiner la compatibilité d'un refus d'autorisation avec la CEDH. En ce qui concerne le grief du défaut de recours efficace, la Cour a estimé que l'article 13 CEDH ne garantit pas une voie de droit qui permette de mettre en cause la législation d'un Etat devant un tribunal national.

Les requêtes ont été déclarées irrecevables en vertu de l'art. 35 al. 3 et 4 CEDH (majorité).





Faits

La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant le 28 juin 2011 en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,
Danute Jociene,
David Thór Björgvinsson,
Giorgio Malinverni,
András Sajó,
Isil Karakas,
Paulo Pinto de Albuquerque, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 15 décembre 2009,
Vu la décision du président de la première section de la Cour d'autoriser le Centre européen pour la Justice et les Droits de l'Homme et l'Open Society Justice Initiative à intervenir en qualité de tierces parties (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 du règlement),
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur, celles présentées en réponse par le requérant et celles présentées par les tierces parties intervenantes auxquelles le requérant a répondu,
Vu le remaniement des sections de la Cour intervenu le 1er février 2011, et l'attribution de la présente requête à la deuxième section (articles 25 § 1 et 52 § 1 du règlement),
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Hafid Ouardiri, est un ressortissant français, né en 1946 et résidant à Mies (canton de Vaud). Il est représenté devant la Cour par Me P. de Preux et Me P. Maurer, avocats à Genève, Me G.-A. Dal, avocat à Bruxelles, Me B. Favreau, avocat à Bordeaux, et Me C. Pettiti, avocat à Paris.
A. Les circonstances de l'espèce
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le requérant est de confession musulmane. De 1978 à 2007, il fut porte-parole de la mosquée de Genève. Actuellement, il travaille pour la « Fondation de l'Entre-connaissance », fondation de droit suisse immatriculée au registre du commerce du canton de Genève, ayant son siège à Genève et qui a pour but de « créer des liens entre la civilisation islamique et le reste du monde, et [d'] oeuvrer pour l'entre-connaissance des cultures et des peuples».
Le 8 juillet 2008, une initiative populaire « Contre la construction de minarets » (ci-après : l'initiative), ayant pour objet une révision partielle de la constitution suisse, fut déposée auprès de la Chancellerie fédérale.
Le texte de l'initiative était accompagné de 113 540 signatures de citoyens suisses.
Par décision du 28 juillet 2008, la Chancellerie fédérale constata que l'initiative avait abouti.
Le 27 août 2008, le Conseil fédéral suisse (Gouvernement suisse) déposa auprès de l'Assemblée fédérale (Parlement fédéral suisse) un projet d'arrêté fédéral relatif à l'initiative. A ce propos, le message accompagnant le projet d'arrêté fédéral comportait les passages suivants :
-- ..L'analyse [...] montre que l'initiative « Contre la construction de minarets » porte atteinte à la liberté religieuse garantie par l'art. 9 CEDH. La mesure demandée n'a pas de justification au sens de l'al. 2 de cette disposition car elle est dépourvue de tout objectif légitime et, en outre, disproportionnée, c'est-à-dire non nécessaire dans une société démocratique. [...] Au vu des considérations qui précèdent, on constate que l'interdiction de construire des minarets enfreindrait l'interdiction de discrimination de l'art. 14 CEDH, qui pourrait être invoqué en relation avec l'art. 9 CEDH : elle crée une inégalité de traitement entre des groupes de personnes dans des situations similaires, sur la base du critère éminemment personnel de la religion ; cette différence de traitement n'a pas de justification légitime ; enfin, l'interdiction prévue est disproportionnée... »
Le 12 juin 2009, l'Assemblée fédérale adopta un arrêté fédéral qui se lit ainsi :
Article 1
« 1. L'initiative populaire du 8 juillet 2008 « Contre la construction de minarets » est déclarée valable et sera soumise au vote du peuple et des cantons.
2. Elle a la teneur suivante :
La Constitution est modifiée comme suit :
Art. 72, al. 3 (nouveau)
3. La construction de minarets est interdite.
Article 2
L'Assemblée fédérale recommande au peuple et aux cantons de rejeter l'initiative. »
Le 29 novembre 2009 une votation populaire eut lieu. Selon les résultats définitifs, 57,5 % des personnes ayant participé au scrutin acceptèrent l'initiative. Les résultats ayant également été positifs dans dix-sept cantons et cinq demi-cantons, la modification constitutionnelle fut approuvée.
B. Le droit et la pratique internes pertinents
1. La Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999
Article 139 - Initiative populaire tendant à la révision partielle de la Constitution
« 1. 100 000 citoyens et citoyennes ayant le droit de vote peuvent, dans un délai de 18 mois à compter de la publication officielle de leur initiative, demander la révision partielle de la Constitution.
2. Les initiatives populaires tendant à la révision partielle de la Constitution peuvent revêtir la forme d'une proposition conçue en termes généraux ou celle d'un projet rédigé.
3. Lorsqu'une initiative populaire ne respecte pas le principe de l'unité de la forme, celui de l'unité de la matière ou les règles impératives du droit international, l'Assemblée fédérale la déclare totalement ou partiellement nulle.
4. Si l'Assemblée fédérale approuve une initiative populaire conçue en termes généraux, elle élabore la révision partielle dans le sens de l'initiative et la soumet au vote du peuple et des cantons. Si elle rejette l'initiative, elle la soumet au vote du peuple, qui décide s'il faut lui donner suite. En cas d'acceptation par le peuple, l'Assemblée fédérale élabore le projet demandé par l'initiative.
5. Toute initiative revêtant la forme d'un projet rédigé est soumise au vote du peuple et des cantons. L'Assemblée fédérale en recommande l'acceptation ou le rejet. Elle peut lui opposer un contre-projet (...) »
Article 190 - Droit applicable
« Le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d'appliquer les lois fédérales et le droit international. »
2. La jurisprudence du Tribunal fédéral
Concernant sa compétence pour examiner la compatibilité avec la Convention d'une disposition constitutionnelle, le Tribunal fédéral distingue selon que le recours est directement dirigé contre la disposition litigieuse ou qu'il porte sur un acte administratif ou judiciaire concret adopté sur le fondement de celle-ci.
Ainsi, la haute juridiction helvétique a-t-elle déclaré irrecevables un certain nombre de recours dirigés directement contre l'initiative populaire visant à interdire la construction de minarets (arrêts des 14 décembre 2009, affaires no 1C_527/2009 et no 1C_529/2009, et arrêt du 13 janvier 2010, affaire no 1C_451/2009).
En revanche, saisi d'un recours dirigé contre une décision d'assujettissement à la taxe d'exemption du service militaire, le Tribunal fédéral s'est prononcé par arrêt du 21 janvier 2010 (affaire no 2C_221/2009) sur la compatibilité d'une disposition constitutionnelle instituant le service militaire obligatoire uniquement pour les hommes avec l'article 14 lu conjointement avec l'article 4 de la Convention et a conclu à l'absence de violation de la Convention en l'espèce.
GRIEFS
1. Invoquant les articles 9 et 14 de la Convention, le requérant soutient que l'interdiction de construire des minarets constitue une violation de la liberté religieuse et une discrimination en raison de la religion.
2. Invoquant l'article 13 de la Convention, le requérant se plaint de l'absence de recours effectif lui permettant d'obtenir la constatation que la modification constitutionnelle litigieuse est contraire à la Convention.


Considérants

EN DROIT
1. Le requérant allègue une violation de sa liberté religieuse garantie par l'article 9 de la Convention et il s'estime victime d'une discrimination en raison de la religion, prohibée par l'article 14 de la Convention. Ces dispositions se lisent ainsi :
« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
et
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
Le requérant rappelle que les restrictions apportées à la liberté religieuse doivent concilier les intérêts des divers groupes religieux et sauvegarder la paix sociale et l'entente entre les croyants. Il en déduit que la modification constitutionnelle litigieuse est en « totale contradiction » avec ces principes, car elle introduit une « interdiction absolue » de construire des minarets en Suisse. Il souligne que cela traduit une volonté manifeste de porter atteinte à l'existence-même de la religion musulmane et que les motifs avancés pour justifier cette interdiction ne correspondent pas à ceux énumérés à l'article 9 § 2 de la Convention. Par ailleurs, la modification litigieuse ne vise que les musulmans et constitue une discrimination en raison de la religion.
Le Gouvernement soutient que la Cour n'est compétente pour examiner la conformité d'une disposition constitutionnelle avec la Convention qu'en présence d'un cas concret d'application ou d'une des exceptions admises par sa jurisprudence. Il relève que le requérant ne s'est pas vu refuser la délivrance d'une autorisation de construire une mosquée pourvue d'un minaret. Il soutient que sa situation se distingue de celle ayant donné lieu aux affaires Rekvéniy c. Hongrie et Victor-Emmanuel de Savoie c. Italie, car la modification constitutionnelle litigieuse n'interfère pas directement avec les droits du requérant garantis par la Convention. De plus, le Gouvernement observe que l'article 190 de la constitution suisse ne s'oppose pas à ce qu'à l'occasion d'un recours dirigé contre un acte concret, le requérant se plaigne devant le Tribunal fédéral qu'une disposition de la constitution suisse viole le droit international public dont fait partie la Convention. Il relève d'ailleurs que dans un arrêt du 21 janvier 2010, la juridiction suprême a accepté d'examiner la compatibilité d'une disposition constitutionnelle avec la Convention. Il en déduit que le requérant n'est touché, ni de manière particulière, ni de manière directe par la modification constitutionnelle litigieuse. Il considère dès lors que la requête constitue une actio popularis et que le requérant n'est pas victime de la violation alléguée de la Convention. Soulignant l'importance du rôle subsidiaire de la Cour, le Gouvernement estime, par ailleurs, que le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes. Finalement, il relève qu'on ne saurait interpréter l'issue de la votation populaire comme une preuve de la volonté du peuple suisse de discriminer les musulmans résidant en Suisse.
Le requérant combat l'exception préliminaire soulevée par le Gouvernement. Il estime qu' « on ne saurait [...] limiter la question de la notion de victime à celle de l'interdiction matérielle de construire des minarets ». Rappelant que la disposition constitutionnelle litigieuse vise uniquement la religion musulmane, il en déduit que « [sa] conviction religieuse et intime [...], en tant que musulman vivant en Suisse, et subissant cette mesure vexatoire et discriminante, est atteinte. »Concernant l'épuisement des voies de recours internes, le requérant est d'avis que le Tribunal fédéral n'a jamais tranché un litige portant sur la compatibilité d'une disposition constitutionnelle avec la Convention. Au vu de la jurisprudence rendue dans d'autres affaires, il doute par ailleurs que la juridiction refuserait d'appliquer la disposition constitutionnelle litigieuse si elle était saisie d'un cas concret. Il en conclut qu'il ne disposait pas de voies de recours internes effectives pour faire valoir la violation de ses droits.
Les tierces parties intervenantes ne se prononcent pas sur la recevabilité de la requête.
La Cour rappelle que la notion de « victime » au sens de l' article 34 de la Convention doit être interprétée de façon autonome et indépendante des notions internes telles que celles d'intérêt ou de qualité pour agir (Sanles Sanles c. Espagne (déc.), no 48335/99, CEDH 2000-XI ; Gorraiz Lizarraga et autres c. Espagne, no 62543/00, § 35, CEDH 2004-III ; Tourkiki Enosi Xanthis et autres c. Grèce, no 26698/05, § 38, 27 mars 2008). Elle concerne au premier chef les victimes directes de la violation alléguée, soit les personnes directement touchées par les faits prétendument constitutifs de l'ingérence (Norris c. Irlande, 26 octobre 1988, § 31, série A no 142 ; Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande, 29 octobre 1992, § 43, série A no 246-A ; Otto-Preminger-Institut c. Autriche, 20 septembre 1994, §§ 39-41, série A no 295-A ; Tanrikulu et autres c. Turquie (déc.), no 40150/98, 6 novembre 2001 ; SARL du Parc d'Activités de Blotzheim c. France, no 72377/01, § 20, 11 juillet 2006).
La Cour accepte, à titre exceptionnel, d'examiner une requête émanant d'une personne qui n'aurait été qu'indirectement atteinte par la violation alléguée de la Convention (Vatan c. Russie, no 47978/99, § 48, 7 octobre 2004). C'est ainsi qu'elle a reconnu la qualité de victime indirecte à des proches de la victime directe, tels que l'époux d'une femme contrainte de subir un examen gynécologique (Fidan c. Turquie (déc.), no 24209/94, 29 février 2000) ou le neveu d'une personne décédée de manière suspecte (Yasa c. Turquie, 2 septembre 1998, §§ 61-66, Recueil des arrêts et décisions 1998-VI).
Par ailleurs, la Cour reconnaît, également à titre très exceptionnel, la qualité de victime à certaines personnes susceptibles d'être touchées par les faits prétendument constitutifs de l'ingérence. C'est ainsi qu'elle a admis la notion de victime potentielle, dans les cas suivants : lorsque le requérant n'était pas en mesure de démontrer que la législation qu'il incriminait lui avait été effectivement appliquée, du fait du caractère secret des mesures qu'elle autorisait (Klass et autres c. Allemagne, 6 septembre 1978, § 34, série A no 28) ; lorsque le requérant était obligé de changer de comportement sous peine de poursuites pénales (Dudgeon c. Royaume-Uni, 22 octobre 1981, §§ 40-41, série A no 45 ; Norris précité, § 29 ; Bowman c. Royaume-Uni, 19 février 1998, § 29, Recueil 1998-I) ou lorsque le requérant faisait partie d'une catégorie de personnes risquant de subir directement les effets de la législation critiquée (Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, § 27, série A no 31 ; Johnston et autres c. Irlande, 18 décembre 1986, § 42, série A no 112 ; Open Door et Dublin Well Woman précité, §§ 43-44 ; S.L. c. Autriche (déc.), no 45330/99, 22 novembre 2001 ; Burden c. Royaume-Uni [GC], no 13378/05, § 35, CEDH 2008-).
En tout état de cause, que la victime soit directe, indirecte ou potentielle, il doit exister un lien entre le requérant et le préjudice qu'il estime avoir subi du fait de la violation alléguée (Taurira et autres c. France, no 28204/95, décision de la Commission du 4 décembre 1995, Décisions et rapports (DR) 83-A, p. 130 ; Association des amis de Saint-Raphaël et de Fréjus et autres c. France, no 38192/97, décision de la Commission du 1er juillet 1998, DR 94-A, p. 124 ; Comité des médecins à diplômes étrangers et autres c. France (déc.), nos 39527/98 et 39531/98, 30 mars 1999 ; Gorraiz Lizarraga précité, § 35, CEDH 2004-III). En effet, la Convention n'envisage pas la possibilité d'engager une actio popularis aux fins de l'interprétation des droits qui y sont garantis ; elle n'autorise pas non plus des requérants à se plaindre d'une disposition de droit interne simplement parce qu'il leur semble, sans qu'ils en aient directement subi les effets, qu'elle enfreint la Convention (Norris précité, § 31, série A no 142 ; Sejdic et Finci c. Bosnie-Herzégovine [GC], nos 27996/06 et 34836/06, § 28, 22 décembre 2009).
En l'espèce, la Cour relève que le requérant se plaint essentiellement que la disposition constitutionnelle litigieuse heurte ses convictions religieuses. Il ne met dès lors en avant aucun commencement d'application de celle-ci et n'allègue, par ailleurs, pas que celle-ci ait déployé un quelconque effet concret à son égard. De l'avis de la Cour, le requérant n'est donc pas directement victime de la violation alléguée de la Convention. En l'absence d'allégation quant aux effets de la modification constitutionnelle litigieuse sur ses proches, il ne saurait non plus être considéré comme une victime indirecte.
Reste toutefois à examiner s'il peut se voir reconnaître la qualité de victime potentielle. S'il est vrai qu'un individu peut, dans des circonstances très particulières, se prétendre victime d'une violation occasionnée par la simple existence d'une législation prévoyant certaines mesures sans avoir besoin d'avancer qu'on les lui a réellement appliquées, tel ne semble pas être le cas en l'espèce.
La Cour souligne ainsi que, à la différence des requérants dans l'affaire Klass, le requérant n'est pas victime d'une mesure secrète de surveillance l'empêchant de signaler une mesure concrète qui le toucherait spécifiquement ( a contrario Klass précité, § 34). Par ailleurs, l'interdiction de construire des minarets n'étant assortie d'aucune sanction pénale, elle n'est pas susceptible d'influencer le comportement du requérant, qui demeure libre d'exercer la religion musulmane et de contester publiquement l'opportunité de la modification constitutionnelle litigieuse ( a contrario Norris précité, § 29).
La Cour observe finalement que le requérant n'allègue pas qu'il pourrait envisager dans un avenir proche la construction d'une mosquée pourvue d'un minaret. A la différence des affaires Marckx, Johnston, Open Door et Dublin Well Women ainsi que Burden précitées, le requérant n'a pas rendu vraisemblable que la disposition constitutionnelle litigieuse puisse lui être appliquée. La simple éventualité que tel puisse être le cas dans un avenir plus ou moins lointain, n'est pas, aux yeux de la Cour, suffisante (voir, mutatis mutandis, Carron et autres c. France (déc.), no 48629/08, 29 juin 2010).
La Cour est d'avis que la présente affaire se distingue des affaires Burden et Sejdic et Finci précitées. Dans la première, en effet, il était évident que la législation en cause serait appliquée aux requérantes dans un avenir qui n'était guère lointain, au vu de leur âge ( Burden précité, § 34), sauf dans l'hypothèse, peu vraisemblable, qu'elles décèdent simultanément. Quant à la seconde, il ressortait clairement de la requête que les requérants participaient activement à la vie publique et il semblait tout à fait naturel qu'ils envisagent de se porter candidats, si cette possibilité leur était donnée ( Sejdic et Finci précité, § 29).
La requête ayant pour seul but de contester une disposition constitutionnelle applicable de manière générale en Suisse, la Cour considère que le requérant n'a pas apporté la preuve de circonstances tout à fait exceptionnelles susceptibles de lui conférer la qualité de victime. Bien au contraire, sa requête s'apparente à une action populaire au travers de laquelle il cherche à faire contrôler in abstracto, au regard de la Convention, la disposition constitutionnelle litigieuse ( Ocic c. Croatie (déc.), no 46306/99, 25 novembre 1999, CEDH 1999-VIII).
De surcroît, et au vu de l'arrêt du Tribunal fédéral du 21 janvier 2010 (voir droit interne pertinent), la Cour est d'avis que les juridictions suisses seraient en mesure d'examiner la compatibilité avec la Convention d'un éventuel refus d'autoriser la construction d'un minaret.
Au vu de ce qui précède, la Cour considère que le grief tiré de la violation des articles 9 et 14 de la Convention est donc incompatible ratione personae avec les dispositions de celle-ci. Partant, il doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2. Le requérant allègue de surcroît ne pas avoir bénéficié d'une voie de recours interne, telle que garantie par l'article 13 lu conjointement avec les articles 9 et 14 de la Convention. La disposition précitée est libellée ainsi :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
Le requérant rappelle que les autorités nationales sont responsables de la mise en oeuvre des droits garantis par la Convention. Il réitère également ses griefs tirés des articles 9 et 14 de la Convention et constate qu'il n'avait aucune voie de recours à sa disposition pour dénoncer la modification constitutionnelle litigieuse.
La Cour rappelle toutefois que l'article 13 de la Convention ne va pas jusqu'à exiger un recours par lequel on puisse dénoncer devant une autorité nationale la législation d'un Etat comme étant contraire en tant que telle à la Convention (voir Sejdic et Finci c. Bosnie-Herzégovine, précité, § 60 ; A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 135, 19 février 2009 ; James et autres c. Royaume-Uni, 21 février 1986, § 85, série A no 98).
Dès lors que la présente espèce concerne le contenu d'une disposition constitutionnelle et non une mesure individuelle d'application, le grief tiré de la violation de l'article 13 est manifestement mal fondé et doit donc être rejeté, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.


Disposition

Par ces motifs, la Cour, à la majorité,
Déclare la requête irrecevable.
   
Françoise Elens-Passos     Greffière adjointe
Françoise Tulkens     Présidente

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Considérants

Dispositif

références

Article: Art. 9 et 14 CEDH, Art. 13 CEDH, art. 9 CEDH