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Urteilskopf

69698/01


Stoll Martin gegen Schweiz
Urteil no. 69698/01, 10 décembre 2007

Regeste

Diese Zusammenfassung existiert nur auf Französisch.

SUISSE: Art. 10 CEDH. Condamnation d'un journaliste à une amende pour avoir divulgué dans la presse des extraits d'un rapport confidentiel de l'ambassadeur suisse aux Etats-Unis sur l'indemnisation des victimes de l'Holocauste pour les fonds en déshérence.

L'art. 10 CEDH s'applique à la diffusion d'informations confidentielles ou secrètes par des journalistes, mais la liberté de la presse est subordonnée à la condition que les intéressés agissent de bonne foi sur la base de faits exacts et fournissent des informations fiables et précises dans le respect de la déontologie journalistique.
Prévue par le code pénal, cette ingérence poursuivait le but légitime d'empêcher la divulgation d'informations confidentielles. Il est primordial que les diplomates puissent se transmettre des informations, mais la confidentialité des rapports diplomatiques ne saurait être protégée à n'importe quel prix et la fonction de critique des médias s'applique également à la politique étrangère.
La question des fonds en déshérence soulevait des intérêts financiers importants et un aspect moral considérable pour les victimes de l'Holocauste et leurs descendants; la Cour met ainsi en balance les deux intérêts publics en présence, celui des lecteurs à recevoir des informations sur un débat public d'actualité et celui des autorités à assurer une issue favorable à des négociations diplomatiques en cours.
En l'espèce, la divulgation du contenu du rapport de l'ambassadeur a pu causer un préjudice considérable aux intérêts des autorités suisses, compte tenu du moment délicat auquel elle est intervenue. Quant au requérant, il ne pouvait ignorer que la publication du rapport était illégale, ni que la forme réductrice et tronquée du contenu de ses articles était de nature à induire les lecteurs en erreur, les mots employés tendant à prêter à l'ambassadeur des intentions antisémites, ce qui a sans doute contribué à sa démission juste après la publication.
Dans ces conditions, et compte tenu de la mise en page des articles litigieux avec des titres faisant du sensationnalisme, le requérant a eu comme intention non pas tant d'informer le public sur une question d'intérêt général, mais de faire du rapport de l'ambassadeur un sujet de scandale inutile. Enfin, l'amende de 800 fr. infligée au journaliste était relativement faible et relevait des contraventions alors que des sanctions plus lourdes étaient possibles; les autorités nationales n'ont dès lors pas outrepassé leur marge d'appréciation en infligeant cette mesure qui n'était pas disproportionnée (ch. 101 - 162).
Conclusion: non-violation de l'art. 10 CEDH.

N.B. Cet arrêt de la Grande Chambre fait suite à la décision d'une chambre, qui était arrivée à une conclusion différente par arrêt du 25.04.2006, publié à l'AJP 2006 p. 1294.





Sachverhalt

En l'affaire Stoll c. Suisse,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Sir Nicolas Bratza, président,
MM. J. Casadevall,
L. Wildhaber,
M. Pellonpää,
R. Maruste,
J. Borrego Borrego,
J.Sikuta, juges,
et de M. M.O'Boyle, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 mars 2006,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 69698/01) dirigée contre la Confédération suisse et dont un ressortissant de cet Etat, M. Martin Stoll (« le requérant »), a saisi la Cour le 14 mai 2001 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me S. Canonica, avocat à Zurich. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Ph. Boillat, chef de la section des droits de l'homme et du Conseil de l'Europe à l'Office fédéral de la justice.

3. Le requérant alléguait que sa condamnation pour publication « de débats officiels secrets » était contraire à l'article 10 de la Convention.

4. La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement).

5. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la quatrième section ainsi remaniée (article 52 § 1). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.

6. Par une décision du 3 mai 2005, la chambre a déclaré la requête recevable.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

7. En 1996 et 1997, des négociations furent menées notamment entre le Congrès juif mondial et les banques suisses concernant l'indemnisation due aux victimes de l'Holocauste pour les avoirs en déshérence sur des comptes bancaires suisses.

8. Dans ce contexte, Carlo Jagmetti, alors ambassadeur de Suisse aux Etats-Unis, établit le 19 décembre 1996 un « document stratégique » classé « confidentiel », qui fut envoyé par télécopie à Thomas Borer, chef de la task force instaurée sur la question au sein du Département fédéral des affaires étrangères à Berne. Des copies furent également adressées à dix-neuf autres personnes et aux représentations diplomatiques suisses à Tel Aviv, New York, Londres, Paris et Bonn.

9. Le requérant en obtint une copie. Il semble évident qu'il n'a pu entrer en possession de ce document qu'à la suite d'une violation du secret professionnel, dont l'auteur n'a pas pu être identifié. Le dimanche 26 janvier 1997, le Sonntags-Zeitung, un journal du dimanche zurichois, publia l'article suivant signé du requérant (traduction) :
« Monsieur Carlo Jagmetti offense les Juifs
Document secret : « Impossible de se fier à nos adversaires »
par [le requérant]
Berne/Washington - Une autre affaire impliquant l'ambassadeur de Suisse aux Etats-Unis : Carlo Jagmetti invoque, dans un document stratégique confidentiel sur les avoirs des victimes de l'Holocauste, une « guerre » que « la Suisse doit mener », et des « adversaires » auxquels « il est impossible de se fier ».
Le document est classé « confidentiel ». Il a été rédigé par Carlo Jagmetti, l'ambassadeur de Suisse aux Etats-Unis. C'est le 19 décembre que ce diplomate de haut rang, âgé de 64 ans, a diffusé de Washington, à l'attention de la task force de Berne, son point de vue sur ce qu'il décrit comme une « campagne contre la Suisse ». Ce rapport est parvenu au « Sonntags-Zeitung », et c'est de la dynamite. Son contenu est une appréciation banale de la situation. Mais le choix par Carlo Jagmetti de termes agressifs a sur le lecteur l'effet d'un électrochoc. « C'est une guerre », écrit l'ambassadeur, « une guerre que la Suisse doit mener et gagner sur les fronts extérieur et intérieur ». Il qualifie le sénateur D'Amato et les organisations juives « d'adversaires », affirmant qu'« il est impossible de se fier à la plupart de nos adversaires ».
Dans son document, Carlo Jagmetti évoque la possibilité d'un accord, parce qu'« il est urgent de satisfaire les organisations juives et le sénateur D'Amato. ». Il emploie le terme « transaction » dans ce contexte. Il suggère le « versement d'une somme globale » pour solder « l'ensemble des demandes des Juifs une fois pour toutes ». Après quoi « le calme régnera à tous les niveaux. »
Invoquant le « front extérieur », Carlo Jagmetti dit que la Suisse devrait « oeuvrer systématiquement dans les milieux politiques et des médias ». Les relations avec les organisations juives devraient être « cultivées de manière amicale mais pas servile », avec l'assistance d'un cabinet d'avocats, et il faudrait un « effort de relations publiques bien orchestrées, incluant des séminaires et des tables rondes ».
Il n'y a pas eu de commentaire hier sur ce document stratégique produit par l'éminent diplomate - qui doit prendre sa retraite au printemps - ni du Département fédéral des Affaires étrangères de Flavio Cotti [le chef de la diplomatie suisse] ni de la task force dirigée par Thomas Borer - Carlo Jagmetti n'a pas souhaité répondre au Sonntags-Zeitung.
Martin Rosenfeld, le président de la Fédération suisse des communautés israélites (FSCI), a qualifié les déclarations de Carlo Jagmetti de « choquantes et profondément insultantes ». Il a prédit à Carlo Jagmetti « des temps difficiles jusqu'à sa retraite. »

10. Dans le même numéro du Sonntags-Zeitung du 26 janvier 1997, un autre article, signé du requérant, se lisait ainsi (traduction) :
« L'ambassadeur en peignoir et aux gros sabots fait un autre faux pas.
Un numéro en public inhabituel pour un diplomate (...) et le document stratégique sur les avoirs en déshérence
par [le requérant]
Berne/Washington - L'ambassadeur suisse Carlo Jagmetti se fait toujours remarquer sur la scène diplomatique. Par ses propos indélicats sur les avoirs des victimes de l'Holocauste, il met la pagaille dans la politique étrangère de la Suisse - et ce n'est pas la première fois.
Il était encore tôt à Washington vendredi lorsqu'on a commencé à s'agiter dans les bureaux de l'ambassade suisse. « Pas de commentaire sur des documents internes », a répondu avec emphase au Sonntags-Zeitung un porte-parole de l'ambassade (...) Dès le lendemain (...) [un] rédacteur du [quotidien] Neue Zürcher Zeitung a néanmoins volé au secours de son ami intime, Carlo Jagmetti. Sous le titre « L'usine à indiscrétions produit à tout va », il a annoncé que « ce texte équilibré, dont certaines parties peuvent, bien entendu, être mal interprétées, va peut-être être publié dès ce week-end ».
Limiter les dégâts, c'était donc le mot d'ordre à Washington D.C. vendredi. L'ambassadeur Carlo Jagmetti, qui représente la Suisse à l'étranger depuis 34 ans, était manifestement conscient du caractère explosif de son document stratégique, élaboré le 19 décembre 1996, sur le sujet des avoirs juifs en déshérence. Dans ce document, il invoque « une guerre que la Suisse doit mener et gagner sur les fronts extérieur et intérieur ». Et il finit en apothéose en observant : « Il est impossible de se fier à la plupart de nos adversaires ».
L'ambassade suisse à Washington est toutefois rodée en matière de gestion de crises. Carlo Jagmetti, qui dirige l'ambassade, met régulièrement les pieds dans le plat. En 1993, quelques mois après être arrivé dans ses bureaux sis à une adresse prestigieuse - Cathedral Avenue - ce haut diplomate a commis son premier faux pas. Alors qu'il était interrogé par le Schweizer Illustrierte, il se plaignit du gouvernement américain : « Je relève un manque certain de courtoisie ». Même Bill Clinton, décrit comme « éclatant de rire quelquefois de manière inopportune », a été la cible de critiques pendant cette interview. M. Clinton aurait « fait attendre [Carlo Jagmetti] pendant quatre mois » avant de l'accréditer. Et, de façon générale, il était légitime, selon l'ambassadeur, de se demander « qui gouvern[ait] en réalité les Etats-Unis ».
Berne a réprimandé l'ambassadeur pour ses propos maladroits, et pour une prestation publique inhabituelle (Carlo Jagmetti et son épouse étaient apparus [dans un article du magazine Schweizer Illustrierte] en peignoir), mais l'intéressé n'a pas montré beaucoup plus de retenue dans ses déclarations ultérieures. Et dans le débat brûlant sur les avoirs des victimes de l'Holocauste, Carlo Jagmetti a également donné l'impression qu'il déboulait sur la scène diplomatique avec de gros sabots. Il a tancé la survivante de l'Holocauste Gerda Beer devant toute la presse américaine rassemblée, déclarant que ses demandes étaient sans fondement car son oncle avait vidé le compte bancaire suisse en question. Le diplomate prompt à l'incident ne se fondait toutefois pas sur des faits avérés, mais sur des rumeurs qui circulaient et qu'il n'avait pas vérifiées auparavant.
Berne n'a pas eu le choix, et a exprimé des regrets pour ces déclarations peu diplomatiques, en vue de prévenir des dégâts plus importants.
Ces déclarations, à présent publiques, sont d'autant plus pénibles que les tensions semblaient se dissiper. Pas plus tard que vendredi, le sénateur D'Amato et le Congrès juif mondial avaient pour la première fois félicité la Suisse d'avoir accepté d'instaurer un fonds en faveur des victimes de l'Holocauste.
On tente donc, dans les coulisses de la diplomatie suisse, de désamorcer la crise qui s'annonce en soulignant le prochain départ à la retraite de Carlo Jagmetti. Celui-ci a en tout cas joué un rôle insignifiant dans les négociations, qui ont récemment abouti, entre les organisations juives et le sénateur américain D'Amato.
Carlo Jagmetti lui-même n'a pas souhaité s'exprimer. Il a préféré être ailleurs pendant l'importante conférence de presse tenue par le sénateur D'Amato vendredi devant les médias du monde entier. Selon les informations du Sonntags-Zeitung, il était en vacances en Floride. »

11. Un troisième article, paru également dans le Sonntags-Zeitung du 26 janvier 1997 et signé par son rédacteur en chef Ueli Haldimann, était intitulé « L'ambassadeur à la mentalité bunker ». Le lundi 27 janvier 1997, le Tages-Anzeiger, un quotidien zurichois, reproduisit de larges extraits du document stratégique dans un article intitulé « La touche finale ! ». Par la suite, un autre journal, le Nouveau Quotidien, publia également des extraits du document.

12. Le 5 novembre 1998, la préfecture de Zurich (Statthalteramt des Bezirkes Zürich) infligea au requérant une amende de 4 000 francs suisses (CHF) pour avoir contrevenu à l'article 293 du code pénal suisse (voir ci-dessous la partie « Le droit et la pratique internes pertinents ») en publiant les articles intitulés « Carlo Jagmetti offense les Juifs » et « L'ambassadeur en peignoir et aux gros sabots fait un autre faux pas ».

13. Le 22 janvier 1999, sur opposition du requérant, le tribunal de district (Bezirksgericht) de Zurich condamna l'intéressé pour infraction à l'article 293 § 1 du code pénal suisse, tout en ramenant le montant de l'amende à 800 CHF.

14. Dans sa décision, cette juridiction, relevant qu'avant sa publication par le requérant le document stratégique n'avait pas été rendu public, jugea hors de propos le fait d'examiner si le contenu de ce document devait finalement être divulgué. Le document était loin d'être anodin, puisqu'il portait sur l'appréciation d'une situation délicate de politique étrangère dans laquelle se trouvait la Suisse, qui avait trait aux avoirs des victimes de l'Holocauste déposés auprès des banques suisses. Le document invoquait diverses stratégies possibles qui s'offraient à la Suisse pour surmonter cette situation difficile. Le tribunal jugea indispensable, pour l'échange et la formation des opinions des ambassadeurs, que soient établies régulièrement des estimations et appréciations nuancées. Cela étant, même des thèses opposées furent diffusées en interne. L'article 293 du code pénal suisse visait à garantir la libre formation d'opinions sans influence indue de l'extérieur. En l'espèce, le document litigieux avait pour but d'aider le chef de la task force mise en place par le Gouvernement à former son opinion et aurait donc influencé le comportement de la Suisse dans le traitement de cette question. La publication d'un tel document interne, de par sa nature même, pouvait avoir des conséquences dévastatrices.

15. Quant à l'allégation du requérant selon laquelle le public avait le droit d'être informé des points de vue s'écartant de la position officielle suisse, le tribunal considéra que le requérant souhaitait en réalité rendre compte d'informations dont le style lui déplaisait. En fait, il aurait pu conduire un débat public sur la question sans enfreindre l'article 293 du code pénal suisse. Enfin, le tribunal estima qu'il ne s'agissait pas d'une question de « peu d'importance » au sens du paragraphe 3 de cette disposition. En publiant le document, le requérant avait fragilisé la position de la Suisse en matière de politique extérieure.

16. Pour déterminer le montant adéquat de l'amende, le tribunal eut égard à des circonstances atténuantes, notamment au fait que la divulgation de ce document confidentiel n'avait pas porté atteinte aux fondations mêmes de la Suisse. En outre, le requérant avait publié l'article avec l'aval de son rédacteur en chef et du service juridique du journal, et dans l'intention de conduire un débat ouvert sur le sujet.

17. Le recours en nullité (Nichtigkeitsbeschwerde) du requérant fut rejeté par la cour d'appel (Obergericht) du canton de Zurich le 25 mai 2000.

18. Le requérant saisit le Tribunal fédéral (Bundesgericht) d'un recours en nullité et d'un recours de droit public (s taatsrechtliche Beschwerde). Il se plaignit qu'un journaliste ne pouvait être condamné pour infraction à l'article 293 du code pénal suisse qu'exceptionnellement, c'est-à-dire si le secret rendu public revêtait une importance extraordinaire et que sa publication portait atteinte aux fondations mêmes de la Suisse. Il invoqua l'intérêt général pour les déclarations de l'ambassadeur suisse et la fonction de surveillance des journalistes dans une société démocratique.

19. Le Tribunal fédéral rejeta les recours du requérant dans deux arrêts datés du 5 décembre 2000 (notifiés le 9 janvier 2001), dans lesquels il confirma les décisions des juridictions inférieures. Cette juridiction estima notamment que le requérant, en demandant à ce que l'application de l'article 293 du code pénal suisse soit limitée à des cas de violation de confidentialité revêtant une importance majeure, sollicitait en fait une modification législative de cette disposition qui n'était pas du ressort du tribunal. Qu'un fait soit confidentiel dépendait non pas du degré d'intérêt du public pour l'information, mais du contenu et de l'objet du fait en question.

20. Dans l'intervalle, le Conseil fédéral suisse (Bundesrat) avait demandé au Conseil suisse de la presse (Presserat) d'examiner l'affaire.
Le Conseil suisse de la presse agit en tant qu'instance de plainte pour les questions concernant les médias. Il s'agit d'une institution de droit privé suisse, créée par quatre associations de journalistes qui ont formé une fondation(Stiftung) en vue de financer et d'organiser les activités du Conseil de la presse. Conformément à son règlement, son activité doit contribuer à la réflexion sur des problèmes fondamentaux d'éthique des medias. Appelé à défendre la liberté de la presse et de l'information, il prend position, sur plainte ou de sa propre initiative, sur des questions ayant trait à l'éthique professionnelle des journalistes. Le Conseil suisse de la presse a adopté une « Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste » qui est accessible sur internet.
Voici sa prise de position(Stellungnahme) du 4 mars 1997 concernant la présente affaire (no 1/97, C. J./ Sonntags-Zeitung) :
« II. Considérations
(...)
2. Quant à la publication d'informations confidentielles, les dispositions suivantes de la « Déclaration des droits et devoirs du/de la journaliste » sont pertinentes :
a) « La responsabilité [des journalistes] envers le public [prime] celles qu'ils assument (...) à l'égard des (...) pouvoirs publics (...) notamment » (Préambule).
b) Le/la journaliste accède librement « à toutes les sources d'information et [a le] droit d'enquêter sans entraves sur tous les faits d'intérêt public ; le secret des affaires publiques ou privées ne peut lui être opposé que par exception, dûment motivée de cas en cas » (point a. de la Déclaration des droits).
c) Le/la journaliste ne publie que « les informations, les documents [ou] les images dont l'origine est connue de lui/d'elle ; [il ne supprime pas] des informations ou des éléments essentiels [et ne doit] dénaturer aucun texte, document, image (...) ni l'opinion d'autrui. [Il doit] donner très précisément comme telles les nouvelles non confirmées [et] signaler les montages photographiques ». Il respecte des délais raisonnables (point 3 de la Déclaration des devoirs).
d) Le/la journaliste n'use pas « de méthodes déloyales pour obtenir des informations, (...) des images et des documents » (point 4 de la Déclaration des devoirs).
e) Il/elle garde « le secret rédactionnel et ne révèle pas les sources des informations obtenues confidentiellement » (point 6 de la Déclaration des devoirs).
f) Il/elle n'accepte « aucun avantage, ni aucune promesse qui pourraient limiter son indépendance professionnelle ou l'expression de sa propre opinion » (point 9 de la Déclaration des devoirs).
(...)
5. Il faut tout d'abord établir si les comptes rendus des diplomates relèvent des intérêts essentiels à protéger. Les autorités fédérales et ceux qui partagent leur point de vue développent l'argument selon lequel ces comptes rendus sont très sensibles et comparables aux négociations conduites par le Conseil fédéral et les rapports qui précèdent de telles négociations. Ces documents mériteraient plus d'être protégés que, par exemple, les rapports d'experts ou les procès-verbaux des commissions parlementaires. En effet, le Département fédéral des Affaires étrangères et le Conseil fédéral ne peuvent se faire une image exacte des relations internationales que si les ambassadeurs leur communiquent des informations supplémentaires, de nature différente et plus sensibles que les médias. Les diplomates rendent également compte de ce qu'ils apprennent de source confidentielle, dans les coulisses ou de manière non officielle. Ainsi, il doit être par exemple possible qu'ils s'expriment sans ambages sur les violations des droits de l'homme et les rapports politiques en présence en Iran, sur l'implication d'hommes politiques colombiens de premier plan dans le trafic de stupéfiants ou sur les vrais rapports de force et les intrigues au Kremlin. Si un tel compte rendu est malgré tout publié, alors l'ambassadeur concerné se rend presque automatiquement indésirable dans le pays d'accueil. Si des comptes rendus de ce type étaient régulièrement publiés, les ambassadeurs ne pourraient plus rendre compte de tout et cela porterait atteinte à la politique extérieure de la Suisse, voire la paralyserait complètement. Et si tout devenait public, la Suisse pourrait carrément rappeler ses diplomates et les remplacer par les médias. Les médias doivent toujours exercer leur fonction de critique et de contrôle en ayant conscience de leurs responsabilités et, justement dans le domaine de la politique extérieure, cette exigence que l'on attend d'eux doit être particulièrement forte. Car les rapports concernant la politique extérieure sont également observés à l'étranger. Ne serait-ce que pour cela, ils sont plus sensibles que des rapports sur des affaires de politique intérieure.
A l'inverse, les représentants des médias affirment que la fonction de critique et de contrôle des médias en politique extérieure ne se distingue guère de cette même fonction dans d'autres domaines. Lorsque justement la politique extérieure est en jeu, on invoque toujours très vite l'intérêt national. Ce fut le cas en Suisse pour la fermeture de l'agence Novosti ou pour les révélations sur les défauts du Panzer 68, aux USA lors du scandale du Watergate ou des documents du Pentagone. La politique extérieure suisse n'est cependant pas un domaine réservé. En effet, lorsque les médias se plient aux désirs du gouvernement, on n'est plus très loin de la neutralité artificielle observée du temps de la Seconde Guerre mondiale. Dans tous les domaines, également dans celui de la politique extérieure, les processus de réforme ne se mettent en branle que lorsque le rideau de la confidentialité s'effiloche.
Le Conseil de la presse reconnaît l'importance du principe de confidentialité de la correspondance diplomatique. Jusqu'à présent, les médias suisses ont en substance respecté ce principe. Ce n'était pas leur intention d'exposer largement les dessous de la diplomatie au public. Les divulgations dans le domaine de la politique extérieure ont été jusqu'ici en Suisse exceptionnelles. Les responsables des médias sont manifestement conscients de la responsabilité inhérente à la fonction de critique et de contrôle dans ce domaine. Par contre, il ne faut pas oublier que dans d'autres Etats les divulgations par les médias dans le domaine de la politique extérieure sont monnaie courante, surtout aux USA, mais aussi en Grande-Bretagne ou en Israël. D'autres gouvernements et diplomates vivent manifestement depuis longtemps avec ce risque de révélations en matière de politique extérieure et ils font avec. Qu'elles le veuillent ou pas, les autorités suisses devront également apprendre à s'accommoder d'une situation dans laquelle la politique extérieure ne sera pas plus préservée par les médias que la politique intérieure, et dans laquelle les révélations peuvent ne pas être seulement le fait des médias suisses mais également des médias étrangers. Une conception qui subordonnerait de façon trop rigide l'intérêt public à la confidentialité n'est ni réaliste ni légitime, d'autant que les rapports diplomatiques sont communiqués régulièrement à de très nombreuses administrations.
Les révélations du « Sonntags-Zeitung » et du « Tages-Anzeiger » ont sans aucun doute mis les responsables de la politique extérieure suisse dans l'embarras et les difficultés, mais n'ont pas limité de façon sensible leur marge de manoeuvre. Les rapports diplomatiques sont confidentiels de droit, mais lorsque les critères sont remplis pour la publication de rapports confidentiels, la liberté de la presse prime (prise de position 2/94, questions parlementaires Moser/Reimann).
6. Il faut maintenant examiner si le contenu du document stratégique de M. Jagmetti présente alors un intérêt tel que l'on pouvait faire valoir l'intérêt général et s'il était opportun de le publier. Pour Ueli Haldimann, rédacteur en chef du « Sonntags-Zeitung », l'intérêt général tenait au fait qu'il était important de montrer ce que l'ambassadeur de Suisse à Washington pensait de la problématique complexe des avoirs des victimes de l'Holocauste et de la gestion par la Suisse de son passé, et quel vocabulaire agressif il utilisait. Selon lui, son journal ne publie aucune information basée sur des indiscrétions lorsqu'il n'y a pas d'intérêt général. Toutefois, il y a aujourd'hui plus d'indiscrétions qu'auparavant mais elles ne sont pas en principe préjudiciables, et elles représentent souvent le moyen ultime de faire cesser un préjudice. Les représentants des autres médias reconnaissent également l'intérêt général que présentait le document de M. Jagmetti car il donne un éclairage important sur l'affaire Delamuraz. La télévision ou le « Tages-Anzeiger » auraient, par exemple, rendu compte de la même manière du document s'ils étaient tombés dessus les premiers.
En revanche, ceux qui critiquent la publication du document de M. Jagmetti estiment que l'intérêt général des informations non destinées au grand public est toujours défini par les médias eux-mêmes et qu'il faudrait peser d'autres notions comme les intérêts de la confidentialité, les droits de la personnalité, les intérêts du pays, les conséquences prévisibles de la révélation ainsi que les motifs et les intérêts des informateurs. En l'espèce, le rapport de l'ambassadeur Jagmetti ne présentait pas un grand intérêt général, puisque avant la publication il s'agissait d'un non-événement, qu'il datait déjà de cinq semaines et qu'il ne pouvait pas être publié sans dommage pour les intérêts suisses. Le « Sonntags-Zeitung » a à cet égard porté atteinte à la politique extérieure de la Suisse de manière prévisible, aggravée et non justifiée par l'intérêt général. D'après ces arguments, il aurait été correct de traiter le rapport Jagmetti comme un document « de l'ombre » classique et de ne le publier ni en entier ni en partie.
Pour le Conseil de la presse, il s'agit ensuite d'apprécier l'importance du document stratégique de M. Carlo Jagmetti. Celui-ci a entrepris dans son document de faire une analyse tout à fait pertinente de la situation, avec quelques propositions constructives. Il a développé deux options « extrêmes », celle de la « transaction » et celle de l'« approche juridique ». Le document laisse transparaître le souci fondamental de rechercher la vérité, de trouver une solution financière généreuse, de préserver les intérêts de la Suisse et ses bonnes relations avec les USA. Toutefois, on remarque - et cela ne pouvait que sauter aux yeux de n'importe quel lecteur - que M. Jagmetti a utilisé un langage très guerrier et qu'il considérait ses partenaires de négociation comme des adversaires auxquels on ne pouvait pas se fier, que l'on pouvait à la rigueur satisfaire par une transaction. Le langage utilisé trahit une mentalité qui pose problème même dans un document interne, car toute mentalité risque de s'exprimer aussi pendant les négociations et lors de contacts informels. Et M. Jagmetti aurait dû pendant les six derniers mois de son activité prendre part à des discussions importantes concernant les avoirs des victimes de l'Holocauste.
Le Conseil de la presse est conscient que l'intérêt général que présente une information confidentielle ne peut pas être défini de façon totalement objective, mais dépend du contexte idéologique, culturel, économique et publicitaire d'un média. Cependant, dans le cas du document stratégique de M. Jagmetti, force est de constater l'intérêt public qu'il présentait car les débats sur les avoirs des victimes de l'Holocauste et sur le rôle de la Suisse dans la Seconde Guerre mondiale étaient fin 1996/début 1997 très animés et revêtaient une dimension internationale, et parce que l'ambassadeur suisse à Washington occupait, dans le cadre des discussions à suivre, une position éminente. Il n'est pas anodin, mais pertinent, de savoir ce que cet ambassadeur pensait et comment il formulait ses opinions. Indépendamment de cet intérêt général et de l'importance des déclarations de l'ambassadeur, la publication de ce rapport en soi confidentiel se justifie sur le plan éthique. Car ce n'est qu'à travers la publication qu'il est devenu évident que les personnes en charge n'avaient pas encore d'idée très claire, malgré l'instauration de la task force, sur la question de la responsabilité de la Suisse et sur le point de savoir quelles démarches elle devait entamer. Sur le plan de l'hygiène politique, la publication du document confidentiel pouvait donner une nouvelle impulsion au gouvernement suisse quant au débat public, même si sa rédaction datait de plus d'un mois et que dans l'intervalle on commençait à parler de l'instauration d'un fonds en faveur des victimes de l'Holocauste, pour pallier les déficiences, montrer le dynamisme du processus et proposer des solutions convaincantes.
7. Enfin, il faut examiner si la publication a été effectuée sous la forme appropriée. D'après un point de vue, ce sont les médias qui exercent le pouvoir puisque non seulement ils informent, mais ils peuvent aussi suggérer par la manière et la présentation de l'information comment celle-ci doit être appréciée. En l'espèce, le « Sonntags-Zeitung », selon ce point de vue, a rendu de manière tronquée une analyse interne de politique extérieure et, en l'accompagnant de prises de position de tierces personnes auxquelles on n'avait pas présenté l'original, a fait en sorte d'ancrer dans la tête des gens l'idée que l'ambassadeur « Jagmetti a insulté les Juifs ». Le « Sonntags-Zeitung », en taxant M. Jagmetti d'antisémitisme, a lancé une rumeur de façon irresponsable. Une reproduction complète du texte n'aurait pas mis la même pression sur M. Jagmetti et ne l'aurait pas forcé à démissionner. La manière de publier l'information a donc suscité des problèmes et des perturbations.
D'après l'autre point de vue, il est essentiel d'analyser les phrases marquantes des déclarations de M. Jagmetti. A cet égard, selon le « Sonntags-Zeitung », il ne s'agissait nullement d'accuser l'ambassadeur Jagmetti d'antisémitisme. Cependant, on exprime officieusement l'avis au sein de la rédaction du journal qu'il aurait été plus intelligent de publier le document stratégique dans son intégralité. Mais il aurait été presque impossible le 25 janvier 1997 d'ajouter une page supplémentaire au journal. Et l'intention de mettre le texte intégral sur l'internet se serait heurtée à des problèmes techniques.
Le Conseil de la presse considère que ces arguments sont fallacieux et s'attache à la critique de la forme de la publication. Le « Sonntags-Zeitung » n'a pas suffisamment précisé que l'ambassadeur Jagmetti présentait dans son document stratégique différentes options et que celle de la « transaction » n'était qu'une variante. Le journal n'a pas suffisamment rendu compte de la chronologie des événements, d'autant que le document datait déjà de cinq semaines et est parvenu au destinataire avant l'interview du président fédéral sortant dans l'émission « 24 heures/Tribune de Genève ». Le journal a inutilement donné à cette affaire une tournure dramatique et scandaleuse et, avec le titre « L'ambassadeur Jagmetti insulte les Juifs », a suggéré de fausses implications et fait comme s'il s'agissait de déclarations datant du 25 janvier 1997. Il était incorrect de supposer que M. Jagmetti, par sa lettre, entravait le processus qui avait été enclenché en janvier, d'autant que le document avait été distribué auparavant et n'avait pas été diffusé jusqu'alors, donc ne pouvait pas gêner les entretiens avec les partenaires dans le pays et à l'étranger. Lorsque le « Sonntags-Zeitung » a tenté de joindre le vendredi 24 janvier 1997 M. Jagmetti pour qu'il prenne position, et qu'il s'est avéré que cela était impossible car l'intéressé séjournait en Floride, on aurait dû poser en interne la question de savoir s'il ne serait pas plus intelligent d'attendre une semaine pour procéder à la publication afin d'accompagner les extraits du document d'une interview de Carlo Jagmetti. Le fait que la publication ait été effectuée malgré tout dès l'édition suivante ne peut tenir qu'à la crainte de la concurrence, laquelle ne constitue de toute façon pas une justification suffisante pour une publication immédiate. Ainsi, de la manière dont le « Sonntags-Zeitung » a présenté le document stratégique, il a supprimé des éléments d'information essentiels, en violation de la « Déclaration des droits et devoirs du/de la journaliste » (point 3 de la Déclaration des devoirs).
(...)
III. Constatations
1. La liberté de la presse est un droit trop fondamental pour devoir a priori s'effacer derrière les intérêts de l'Etat. La fonction de critique et de contrôle des médias exige d'eux qu'ils assurent toujours une publicité lorsque l'intérêt général est en jeu, que la source soit accessible ou confidentielle.
2. Quant à la publication d'informations confidentielles, il est nécessaire de peser soigneusement le pour et le contre, et il faut rechercher si, dans cette opération, des intérêts méritant une protection risquent d'être lésés.
3. Les rapports internes des diplomates sont confidentiels de droit, mais ne méritent pas dans tous les cas d'être très protégés. La fonction de critique et de contrôle des médias englobe également la politique extérieure, ce qui a pour conséquence que les responsables des médias peuvent publier un rapport diplomatique s'ils considèrent que son contenu présente un intérêt public.
4. Dans le cas de M. Jagmetti, il convient de reconnaître l'intérêt public du document stratégique et d'admettre que sa publication était légitime en raison de l'importance du débat public sur les avoirs des victimes de l'Holocauste, de la position de premier plan de l'ambassadeur suisse à Washington et du contenu du document.
5. Dans cette affaire, de manière irresponsable, le « Sonntags-Zeitung » a donné aux thèses de M. Jagmetti une tournure dramatique et scandaleuse en présentant de manière tronquée le document stratégique et en rendant insuffisamment compte de la chronologie des événements dans lequel il s'inscrivait. Le journal a donc contrevenu à la « Déclaration des droits et devoirs des journalistes » en soustrayant des éléments importants de l'information (point 3 de la Déclaration des devoirs). En revanche, le « Tages-Anzeiger » et le « Nouveau Quotidien » ont, après les révélations, montré l'affaire sous son vrai jour en publiant presque intégralement le document stratégique.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

21. L'article 293 du code pénal suisse, intitulé « Publication de débats officiels secrets », est ainsi libellé :
« 1. Celui qui, sans en avoir le droit, aura livré à la publicité tout ou partie des actes, d'une instruction ou des débats d'une autorité qui sont secrets en vertu de la loi ou d'une décision prise par l'autorité dans les limites de sa compétence sera puni des arrêts ou de l'amende.
2. La complicité est punissable.
3. Le juge pourra renoncer à toute peine si le secret livré à la publicité est de peu d'importance. »


Erwägungen

EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 10 DE LA CONVENTION

22. Le requérant allègue que la condamnation prononcée à son encontre pour la publication « de débats officiels secrets » équivaut à une atteinte à la liberté d'expression au sens de l'article 10 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
A. Existence d'une ingérence

23. Pour la Cour, il apparaît clairement que la condamnation du requérant s'analyse en une « ingérence » dans l'exercice de sa liberté d'expression, ce que nul n'a d'ailleurs contesté.
B. Justification de l'ingérence

24. Pareille immixtion enfreint l'article 10, sauf si elle remplit les exigences du paragraphe 2 de cette disposition. Reste donc à déterminer si l'ingérence était « prévue par la loi », inspirée par un ou des buts légitimes au regard de ce paragraphe et « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre.
1. « Prévue par la loi »

25. Le requérant ne conteste pas que l'amende prononcée à son encontre était « prévue par la loi » au sens de l'article 10 § 2.

26. Selon le Gouvernement défendeur, la condamnation du requérant se fondait sur l'article 293 du code pénal (voir ci-dessus la partie « Le droit interne pertinent »).

27. La Cour n'aperçoit aucune raison d'adopter un point de vue différent.
2. Buts légitimes

28. Le requérant admet que la prévention de la « divulgation d'informations confidentielles » est un des motifs justifiant une ingérence dans les droits garantis par l'article 10. En revanche, il ne partage pas l'avis de la partie défenderesse selon lequel la publication du document a mis en péril la « sécurité nationale » et « la sûreté publique » ; bien au contraire, il estime que les articles litigieux étaient susceptibles de lancer un débat utile sur la question de savoir s'il était opportun de charger l'ambassadeur Carlo Jagmetti du dossier sensible des fonds en déshérence.

29. D'après le Gouvernement, la condamnation du requérant poursuivait plusieurs des buts énoncés au paragraphe 2 de l'article 10.

30. D'abord, l'amende infligée au requérant s'inscrivait dans les sanctions tendant à « empêcher la divulgation d'informations confidentielles », dans la mesure où le rapport de M. Jagmetti était classé « confidentiel » et était destiné à un cercle extrêmement restreint de personnes occupant de très hautes fonctions au sein de la Confédération suisse.

31. L'obligation de ne pas divulguer le « document stratégique » et la condamnation du requérant pour violation de ce devoir poursuivaient également, aux yeux du Gouvernement, un but de protection de la « sécurité nationale » et de la « sûreté publique », étant donné que les propos tenus par l'auteur du document litigieux s'inscrivaient dans un contexte politique extrêmement sensible. Leur publication mettait en péril la position de la Suisse et risquait, en particulier, de compromettre les négociations qu'elle menait alors sur la délicate question des fonds en déshérence.

32. La Cour se contente de constater que les parties s'accordent à considérer que la mesure litigieuse tendait à empêcher la « divulgation d'informations confidentielles » ; dès lors, elle ne juge pas nécessaire d'examiner si l'amende infligée au requérant visait d'autres buts énoncés à l'article 10 § 2.
3. « Nécessaire dans une société démocratique »
a) Les thèses présentées par les parties
i. Le requérant

33. Le requérant ne conteste pas que le document litigieux était classé « confidentiel » et qu'il n'avait pas fait l'objet d'une publication antérieure. En revanche, se référant à l'affaire Fressoz et Roire c. France ([GC], no 29183/95, CEDH 1999-I), il soutient que seuls les secrets d'Etat considérés comme revêtant une importance particulière peuvent primer sur la liberté d'expression au sens de l'article 10 de la Convention, ce qui n'est sans doute pas le cas en l'espèce. A ce propos, il doute que le contenu du document litigieux fût susceptible de révéler un secret d'Etat dont la divulgation aurait pu compromettre la « sécurité nationale » ou la « sûreté publique » de la Suisse. Les thèses rendues publiques dans les deux articles étaient trop générales pour affaiblir la position de la délégation suisse dans les pourparlers avec les organisations juives.

34. D'ailleurs, le requérant est d'avis que, vu l'importance et l'actualité des négociations sur la question des fonds en déshérence, il existait un intérêt général à recevoir plus d'informations sur la manière dont les responsables du Département des affaires étrangères pensaient mener les pourparlers en vue de trouver un accord sur le sujet des plaintes contre les institutions bancaires et financières suisses. A ce titre, il considère particulièrement révélatrices l'opinion et la position de M. Jagmetti qui, selon lui, jouait un rôle clé dans l'affaire des fonds en déshérence.

35. Ainsi, le requérant soutient que la divulgation du rapport a provoqué un débat utile sur la question de savoir si M. Jagmetti était la personne appropriée pour mener les négociations avec les représentants des organisations juives, et observe de surcroît que la divulgation était à l'origine de la démission de ce dernier le lendemain de la publication du rapport. D'après le requérant, cette publication a visiblement contribué à l'adoption d'une approche plus sensible de l'administration suisse vis-à-vis du dossier délicat des fonds en déshérence. En même temps, elle a démontré qu'il n'existait, à ce moment-là, aucune position claire et cohérente en ce qui concernait, d'une part, la responsabilité effective de la Suisse dans cette affaire et, d'autre part, la question de la stratégie exacte à adopter à l'encontre des prétentions auxquelles les intéressés devaient faire face.

36. Quant à l'argument tiré du blâme prononcé par le Conseil de la presse, le requérant estime que celui-ci a certes retenu quelques exagérations, mais qu'il n'a pas considéré la publication comme étant abusive ou diffamatoire en tant que telle. Il soutient que, si les articles publiés apparaissent parfois choquants, la publication litigieuse avait justement pour but de mettre en relief le vocabulaire employé par M. Jagmetti dans son rapport - un vocabulaire qui, selon le requérant, n'est pas digne d'un haut représentant de la Confédération et à peine compatible avec la politique étrangère officielle de la Suisse.

37. Enfin, le requérant note que l'infraction, sur la base de laquelle l'amende a été prononcée n'a, certes, que la nature d'une « contravention », mais qu'elle est néanmoins passible d'une peine d'amende ou même d'emprisonnement. Une condamnation à la lumière de cette disposition doit de toute manière être conforme aux exigences de l'article 10 de la Convention.
ii. Le gouvernement défendeur

38. Le gouvernement défendeur conteste les arguments du requérant. Il estime fondamental d'examiner la nature et l'importance stratégique du rapport litigieux. Le document en cause contenait une analyse détaillée de la situation, telle que la percevait M. Jagmetti, dans laquelle la Suisse se trouvait eu égard aux prétentions de plusieurs organisations juives relatives aux « fonds en déshérence ». Il avait, dès lors, pour but de contribuer à la formation d'une opinion consolidée quant à l'attitude et à la réaction que le gouvernement suisse devait adopter par rapport à ces prétentions. Il existait donc un intérêt primordial à éviter la divulgation du document.

39. A ce propos, le Gouvernement estime opportun de souligner que le rapport litigieux était un document interne, entièrement inconnu du public et classé « confidentiel ». Le requérant n'est entré en possession de ce document qu'à la suite d'une violation du secret de fonction dont l'auteur n'a pas pu être identifié. Seul un cercle très restreint de personnes, occupant de très hautes fonctions au sein de la Confédération suisse, en avait connaissance. Il s'ensuit que, selon l'appréciation du Gouvernement, l'espèce se distingue clairement à cet égard d'affaires soulevant des questions similaires (voir, par exemple, les affaires Observer et Guardian c. Royaume-Uni, arrêt du 26 novembre 1991, série A no 216, p. 34, § 69 et Weber c. Suisse, arrêt du 22 mai 1990, série A no 177, pp. 22 et suiv., § 49).

40. Dans ce contexte, le Gouvernement tient aussi à souligner que la publication des extraits du rapport est intervenue à un moment particulièrement délicat. Une telle publication révélant, de façon partielle et partiale, des options de défense d'intérêts nationaux proposées à titre confidentiel au Conseil fédéral et à la task force était de nature à nuire gravement aux intérêts du pays. En même temps, elle était susceptible de porter atteinte à la crédibilité du représentant de la Suisse aux Etats-Unis auprès de ses interlocuteurs - affirmation qui fut confirmée par la démission de M. Jagmetti le lendemain de la publication.

41. Le Gouvernement tient également à relever que, dans la mise en balance des intérêts en jeu en l'espèce, celui du public à l'information est amoindri par l'objectif visé. Or le Gouvernement, se basant sur le ton utilisé dans la publication, les commentaires faits dans les deux articles publiés ainsi que sur le blâme prononcé par le Conseil de la presse, estime que le requérant n'a cherché qu'à faire du « sensationnalisme ». Dans cette situation, lorsque la discussion d'une question d'intérêt général ne semble être visée qu'au second plan par l'auteur, une sanction prononcée à l'encontre de celui-ci devrait être plus facilement admise comme « nécessaire ».

42. Selon le Gouvernement, il convient enfin de relever que le droit interne qualifie l'infraction en question de simple « contravention » (« Übertretung ») et que le requérant n'a été condamné qu'à une amende de 800 CHF (environ 520 EUR). La sanction infligée au requérant n'était donc pas disproportionnée aux buts légitimes poursuivis.
b) Appréciation de la Cour
i. Principes généraux

43. La question majeure à trancher est celle de savoir si l'ingérence était « nécessaire dans une société démocratique ». Les principes fondamentaux concernant cette question sont bien établis dans la jurisprudence de la Cour et ont été résumés comme suit (voir, par exemple, Hertel c. Suisse, arrêt du 25 août 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VI, § 46, Jersild c. Danemark, arrêt du 23 septembre 1994, série A no 298, pp. 23 et suiv., § 31 ou Steel et Morris c. Royaume-Uni, no 68416/01, § 87, CEDH 2005-II) :
« i. La liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique, l'une des conditions primordiales de son progrès et de l'épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2 de l'article 10, elle vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels il n'est pas de « société démocratique ». Telle que la consacre l'article 10, elle est assortie d'exceptions qui (...) appellent toutefois une interprétation étroite, et le besoin de la restreindre doit se trouver établi de manière convaincante (...).
ii. L'adjectif « nécessaire », au sens de l'article 10 § 2, implique un « besoin social impérieux ». Les Etats contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation pour juger de l'existence d'un tel besoin, mais elle se double d'un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l'appliquent, même quand elles émanent d'une juridiction indépendante. La Cour a donc compétence pour statuer en dernier lieu sur le point de savoir si une « restriction » se concilie avec la liberté d'expression que protège l'article 10.
iii. La Cour n'a point pour tâche, lorsqu'elle exerce son contrôle, de se substituer aux juridictions internes compétentes, mais de vérifier sous l'angle de l'article 10 les décisions qu'elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d'appréciation. Il ne s'ensuit pas qu'elle doive se borner à rechercher si l'Etat défendeur a usé de ce pouvoir de bonne foi, avec soin et de façon raisonnable : il lui faut considérer l'ingérence litigieuse à la lumière de l'ensemble de l'affaire pour déterminer si elle était « proportionnée au but légitime poursuivi » et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants » (...) Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés à l'article 10 et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents (...) »
ii. Application en l'espèce des principes susmentionnés

44. Les juridictions suisses ont condamné le requérant à une amende de 800 CHF (environ 520 EUR) pour avoir publié « des débats officiels secrets » au sens de l'article 293 du code pénal suisse. D'après les juridictions suisses, le requérant a réalisé l'infraction par le fait d'avoir divulgué dans un hebdomadaire suisse un rapport confidentiel émanant de l'ambassadeur suisse aux Etats-Unis. Cette publication avait trait à la stratégie à adopter par le gouvernement suisse dans les négociations menées, notamment, entre le Congrès juif mondial et les banques suisses concernant l'indemnisation due aux victimes de l'Holocauste pour les avoirs en déshérence sur des comptes bancaires suisses.

45. La liberté de la presse étant ainsi en cause, les autorités suisses ne disposaient que d'une marge d'appréciation restreinte pour juger de l'existence d'un « besoin social impérieux » appelant la prise de la mesure en question contre le requérant (Editions Plon c. France, no 58148/00, § 44, 3e alinéa, CEDH 2004-IV). La Cour doit donc vérifier si ce besoin social impérieux existait.

46. La Cour rappelle également que l'article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d'expression dans le domaine du discours politique ou de questions d'intérêt général (Wingrove c. Royaume-Uni, arrêt du 25 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, p. 1957, § 58, Lingens c. Autriche du 8 juillet 1986, série A no 103, p. 26, § 42, Castells c. Espagne du 23 avril 1992, série A no 236, p. 23, § 43 et Thorgeir Thorgeirson c. Islande du 25 juin 1992, série A no 239, p. 7, § 63). Elle doit faire preuve de la plus grande prudence lorsque, comme en l'espèce, les mesures prises ou les sanctions infligées par l'autorité nationale sont de nature à dissuader la presse de participer à la discussion de problèmes d'un intérêt général légitime (Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège [GC], no 21980/93, § 64, CEDH 1999-III, Jersild c. Danemark, arrêt précité, pp. 25-26, § 35).

47. Il ressort également de la jurisprudence de la Cour que les limites de la critique admissible sont, comme pour les hommes politiques, plus larges pour les fonctionnaires agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles que pour un simple particulier. Cependant, on ne saurait dire que des fonctionnaires s'exposent sciemment à un contrôle attentif de leurs faits et gestes exactement comme c'est le cas des hommes politiques et que ceux-ci devraient dès lors être traités sur un pied d'égalité avec ces derniers lorsqu'il s'agit de critiques de leur comportement (Oberschlick c. Autriche (no 2), arrêt du 1er juillet 1997, Recueil 1997-IV, p. 1275, § 29, 3e alinéa, Janowski c. Pologne [GC], no 25716/94, § 33, CEDH 1999-I).
En l'occurrence, la critique exprimée par les publications incriminées visait directement un haut fonctionnaire, à savoir un agent diplomatique ayant le rang d'ambassadeur, chargé d'une mission particulièrement importante auprès des Etats-Unis. La marge d'appréciation des tribunaux suisses était dès lors plus étroite que pour un simple justiciable « privé ».

48. La Cour considère que la confidentialité des rapports diplomatiques est a priori justifiée, mais qu'elle ne saurait être protégée à n'importe quel prix. De surcroît, la fonction de critique et de contrôle des médias s'applique également au domaine de la politique étrangère.

49. Selon la Cour, le mode de compte rendu litigieux ne doit pas s'envisager seulement par rapport aux articles contestés parus dans le Sonntags-Zeitung, mais dans le contexte plus large de la couverture médiatique accordée à la question en jeu (Bladet Tromsø et Stensaas, arrêt précité, § 63, 2e alinéa).
A ce sujet, la Cour partage l'avis du requérant selon lequel les informations contenues dans le document émanant de l'ambassadeur suisse aux Etats-Unis étaient susceptibles de soulever des questions d'intérêt général. Les publications intervenaient dans le cadre d'un débat public sur une question largement évoquée par les médias suisses et ayant profondément divisé l'opinion publique suisse, à savoir celle de l'indemnisation due aux victimes de l'Holocauste pour les avoirs en déshérence sur des comptes bancaires suisses, d'autant plus que les débats sur les avoirs des victimes de l'Holocauste et sur le rôle de la Suisse dans la Seconde Guerre mondiale étaient, fin 1996 et début 1997, très animés et revêtaient une dimension internationale (voir, mutatis mutandis, Bladet Tromsø et Stensaas, arrêt précité, §§ 63 et 73). L'ambassadeur suisse à Washington occupait, dans le cadre des discussions à suivre, une position importante.
Du fait de la publication du document en cause, il est notamment devenu évident que les personnes chargées du dossier n'avaient pas encore d'idée très claire sur la question de la responsabilité de la Suisse et sur le point de savoir quelles démarches le Gouvernement devait entamer.
Dans ce contexte, la Cour reconnaît également comme légitime l'intérêt du public à recevoir des informations sur les agents chargés de ce dossier délicat et sur leur style et stratégie de négociation.

50. S'agissant de peser les intérêts en jeu, il convient aussi de prendre en compte la nature et le contenu du document litigieux. La présente affaire se distingue d'emblée par le fait que la teneur du document dont des extraits avaient été publiés était entièrement inconnue du public, alors que les affaires soulevant des questions similaires portaient sur des informations dont le contenu avait dans une large mesure déjà été rendu public (voir, notamment, Fressoz et Roire, précité , § 53, O bserver et Guardian c. Royaume-Uni, précité, p. 34, § 69, Weber, précité, § 49, Vereniging Weekblad Bluf ! c. Pays-Bas, arrêt du 9 février 1995, série A no 306-A, p. 16, § 44 et s, Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande, arrêt du 29 octobre 1992, série A no 246-A, p. 31, § 76, Editions Plon, précité, § 53).
En l'occurrence, force est de constater que le rapport en question était un document interne, inconnu du public et classé « confidentiel ». Seul un cercle très restreint de personnes, occupant des postes dirigeants au sein de la Confédération, en avait connaissance. En même temps, il faut retenir qu'il n'apparaît pas que le requérant ait été à l'origine de l'indiscrétion commise. En tout état de cause, aucune procédure n'avait été ouverte à ce titre par les autorités suisses. De surcroît, le document en question ne portait que la simple mention « confidentiel » ce qui représente, selon la jurisprudence de la Cour, un degré peu important de secret(Vereniging Weekblad Bluf !, précité, p. 15, § 41).

51. En même temps, il convient de se demander si les informations contenues dans le compte rendu de M. Jagmetti relèvent effectivement des intérêts essentiels à protéger. Le gouvernement défendeur prétend que les extraits du rapport publiés étaient susceptibles de révéler des options de défense d'intérêts nationaux, et de nature à nuire gravement aux intérêts du pays. Selon le Conseil de la presse, M. Jagmetti a procédé, dans le document litigieux, à une analyse globale de la situation, développant deux options extrêmes, celle de la transaction et celle de l'approche juridique. Il ressort du document que le souci fondamental était de rechercher la vérité, de trouver une solution financière adéquate et, en même temps, de protéger les intérêts de la Suisse et ses bonnes relations avec les Etats-Unis.

52. La Cour ne méconnaît nullement l'importance de préserver le travail des organes diplomatiques d'immixtions externes. Mais elle estime que la présente affaire se distingue, quant à la question de la nature des informations à révéler, des affaires soulevant des questions similaires, dans la mesure où, contrairement à ce qu'affirme le Gouvernement, elle n'a pas trait au bon fonctionnement des services étatiques chargées de veiller sur la « sécurité nationale » et la « sûreté publique » au sens propre de ces termes (voir, a contrario, Vereniging Weekblad Bluf !, arrêt précité, § 40, O bserver et Guardian, arrêt précité, §§ 61 et suiv. ; voir également Hadjianastassiou c. Grèce, arrêt du 16 décembre 1992, série A no 252, pp. 17-19, §§ 38-47). Eu égard au fait que les exceptions à la liberté d'expression appellent une interprétation étroite, la Cour n'est pas convaincue que la divulgation des éléments de la stratégie à adopter par le gouvernement suisse dans les pourparlers portant sur la question des avoirs des victimes de l'Holocauste et sur le rôle de la Suisse dans la Seconde Guerre mondiale était susceptible de porter atteinte à des intérêts tellement précieux qu'ils seraient de nature à primer sur la liberté d'expression dans une société démocratique. Le tribunal de district de Zurich avait d'ailleurs conclu, le 22 janvier 1999, à l'existence de circonstances atténuantes, admettant explicitement que la divulgation du document confidentiel n'avait pas porté atteinte aux fondements mêmes de la Suisse.

53. La Cour rappelle également que quiconque, y compris un journaliste exerçant sa liberté d'expression, assume des « devoirs et responsabilités » dont l'étendue dépend de sa situation et du procédé technique utilisé (voir, mutatis mutandis, arrêt Handyside c. Royaume-Uni, arrêt du 7 décembre 1976, série A no 24, p. 23, § 49, 3e alinéa). Ainsi, tout en reconnaissant le rôle essentiel qui revient à la presse dans une société démocratique, la Cour estime qu'il faut rappeler que les journalistes ne sauraient en principe être déliés par la protection que leur offre l'article 10 de leur devoir de respecter les lois pénales de droit commun. Le paragraphe 2 de l'article 10 pose d'ailleurs les limites de l'exercice de la liberté d'expression. Cela vaut même quand il s'agit de rendre compte dans la presse de questions sérieuses d'intérêt légitime (Bladet Tromsø et Stensaas, arrêt précité , § 65).

54. Ainsi, la Cour rappelle qu'en raison des « devoirs et responsabilités » inhérents à l'exercice de la liberté d'expression, la garantie que l'article 10 offre aux journalistes, en ce qui concerne les comptes rendus sur des questions d'intérêt général, est subordonnée à la condition que les intéressés agissent de bonne foi, de manière à fournir des informations exactes et dignes de foi dans le respect de la déontologie journalistique (Goodwin c. Royaume-Uni, arrêt du 27 mars 1996, Recueil 1996-II, § 39 et Fressoz et Roire, précité, § 54).

55. En ce qui concerne la forme des publications, il est vrai que le Conseil de la presse a estimé que, en raison de la forme réductrice de celles-ci et du fait que le rapport n'a pas suffisamment été placé dans son contexte, son auteur, de manière irresponsable, a donné aux propos de l'ambassadeur concerné une tournure dramatique et scandaleuse. La Cour est consciente qu'il aurait été possible d'accompagner les articles parus dans le « Sonntags-Zeitung » de la publication intégrale du rapport litigieux, comme cela a été dans une large mesure fait, le 27 janvier 1997, par le « Tages-Anzeiger » et le « Nouveau Quotidien » et, par conséquent, de permettre aux lecteurs de se former leur propre opinion. La Cour a à d'autres occasions attaché une grande importance à cet élément (Lopes Gomes da Silva c. Portugal, no 37698/97, § 35, 2e alinéa, CEDH 2000-X). En même temps, elle rappelle que la liberté de la presse fournit à l'opinion publique un des moyens de connaître et de juger les idées et attitudes des dirigeants et, à cet égard, elle comprend aussi le recours possible à une dose d'exagération, voire même de provocation (Lopes Gomes da Silva, arrêt précité, § 34, Prager et Oberschlick c. Autriche, arrêt du 26 avril 1995, série A no 313, p. 19, § 38).

56. De surcroît, la Cour constate que la condamnation du requérant découlait uniquement de la publication de débats officiels secrets, et ne se fondait nullement sur une infraction contre l'honneur, telle que notamment la diffamation (article 173 du code pénal) ou l'injure (article 177). Elle ne partage pas l'avis du Gouvernement selon lequel la manière de présenter la publication est un élément déterminant à prendre en considération dans l'appréciation des articles de presse sanctionnés pour révélation d'informations considérées comme secrètes.

57. Enfin, la Cour rappelle que la nature et la lourdeur des sanctions infligées sont aussi des éléments à prendre en considération lorsqu'il s'agit de mesurer la proportionnalité de l'ingérence (voir, par exemple, Sürek c. Turquie (no 1) [GC], no 26682/95, § 64, CEDH 1999-IV, Chauvy et autres c. France, no 64915/01, § 78, CEDH 2004-VI).
A cet égard, elle note que la sanction prononcée contre le requérant est certes d'une sévérité relativement faible (une amende de 800 CHF, soit environ 520 EUR). En revanche, la Cour rappelle aussi que ce qui importe n'est pas le caractère mineur de la peine infligée au requérant, mais le fait même de la condamnation (Jersild, arrêt précité, pp. 25-26, § 35 ; Lopes Gomes da Silva, arrêt précité, § 36).

58. En outre, si la sanction qui a frappé le requérant ne l'a à proprement parler pas empêché de s'exprimer, sa condamnation n'en a pas moins constitué une espèce de censure tendant à l'inciter à ne pas se livrer désormais à des critiques formulées de la sorte. Dans le contexte du débat politique, pareille condamnation risque de dissuader les journalistes de contribuer à la discussion publique de questions qui intéressent la vie de la collectivité. Par là même, elle est de nature à entraver la presse dans l'accomplissement de sa tâche d'information et de contrôle (voir, mutatis mutandis, Barthold c. Allemagne, arrêt du 25 mars 1985, série A no 90, p. 26, § 58, Lingens c. Autriche, précité, p. 27, § 44).

59. Eu égard à ce qui précède, la condamnation du journaliste ne représentait pas un moyen raisonnablement proportionné à la poursuite du but légitime visé, compte tenu de l'intérêt de la société démocratique à assurer et à maintenir la liberté de la presse.
Partant, il y a eu violation de l'article 10 de la Convention.
II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

60. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage

61. Le requérant ne prétend pas que sa condamnation lui ait causé un préjudice matériel. Il estime que le constat de violation suffit à réparer le préjudice moral subi.

62. Dans ces conditions, aucun montant n'est dû à ce titre.
B. Frais et dépens

63. Le requérant précise que les honoraires afférents à sa défense devant les juridictions internes et devant la Cour ont été intégralement acquittés par son employeur.

64. La Cour constate, dès lors, qu'aucun montant n'est dû à cet égard.


Entscheid

PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Dit, par quatre voix contre trois, qu'il y a eu violation de l'article 10 de la Convention ;
2. Dit, à l'unanimité, que le constat d'une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 25 avril 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Michael O'Boyle Nicolas Bratza
Greffier     Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion dissidente de M. Wildhaber, à laquelle se rallient MM. Borrego Borrego et Sikuta.
N.B.
M.O'B.
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE WILDHABER,
À LAQUELLE SE RALLIENT
MM. LES JUGES BORREGO BORREGO ET SIKUTA
(Traduction)
Il s'agit là d'une affaire difficile. En plein milieu d'un débat passionné concernant le passé de la Suisse pendant et après la Deuxième Guerre mondiale, sa politique de neutralité, sa politique vis-à-vis des réfugiés, l'ampleur de l'antisémitisme, les avoirs et l'or des victimes de l'Holocauste déposés dans les banques suisses, et les responsabilités tant publiques que privées pour les actions et omissions passées et présentes, le journal suisse Sonntags-Zeitung publia le 26 janvier 1997, dans un article signé du requérant, des extraits d'un rapport stratégique confidentiel émanant de l'ambassadeur suisse aux Etats-Unis, Carlo Jagmetti. Etant donné que l'ambassadeur envoya le rapport au Département des affaires étrangères, à 19 personnes nommément désignées et cinq autres représentations diplomatiques suisses, il est communément admis, mais non établi, que la presse eut connaissance de ce document par une indiscrétion. Le rapport avait trait à la stratégie à adopter par le gouvernement suisse dans les négociations entre, notamment, le Congrès juif mondial et les banques suisses concernant l'indemnisation due aux victimes de l'Holocauste pour les avoirs en déshérence sur des comptes bancaires suisses. Les extraits publiés exposaient une appréciation de la situation d'ensemble qui n'avait rien de surprenant, mais qui était exprimée en des termes vigoureux - d'aucuns diraient belliqueux. Une bonne partie des recommandations du rapport devaient par la suite être suivie d'effets. Le Sonntag-Zeitung publia les extraits sous les titres « Carlo Jagmetti offense les Juifs », « il est impossible de se fier à nos adversaires », et « L'ambassadeur en peignoir et aux gros sabots fait un autre faux pas ». Le requérant se vit infliger une amende d'environ 500 EUR pour avoir publié des documents officiels secrets, en violation de l'article 293 du code pénal.
La Cour a toujours accordé une grande importance à la liberté de la presse et au rôle indispensable de celle-ci s'agissant d'aborder, d'analyser et de rendre publiques des questions d'intérêt général, même si celles-ci sont de nature à déplaire au gouvernement, aux personnes concernées ou à la majorité du moment. Je souscris pleinement à cette conception du rôle des médias. Il ressort de notre jurisprudence (et du raisonnement de la majorité en l'espèce, voir le paragraphe 53 du présent arrêt) que l'on admet que les journalistes ont certains « droits et responsabilités ». Cependant, réitérer des généralités sur le rôle important de la presse et les responsabilités des journalistes ne suffit pas à faire l'économie d'un examen adéquat et critique des nombreuses facettes des deux thèses développées en l'espèce.
L'article 10 § 2 de la Convention autorise des restrictions à la liberté de la presse afin d'empêcher que des informations confidentielles ne deviennent publiques. En réalité, je ne connais aucun pays pour lequel les rapports diplomatiques n'ont pas un caractère confidentiel. Cela montre l'importance pour tout Etat partie à la Convention que revêt le bon fonctionnement des échanges d'informations entre les hauts fonctionnaires diplomatiques, à l'abri de toute immixtion extérieure. La nature et le contenu du document sont donc dignes de protection. En effet, la publication d'un compte rendu classé « confidentiel » et émanant d'un ambassadeur peut non seulement avoir des conséquences néfastes et paralysantes sur la politique extérieure d'un Etat, mais aussi rendre l'agent concerné presque automatiquement indésirable dans le pays d'accueil. Lus et analysés aussi à l'étranger, ces documents sont en règle générale plus sensibles que des rapports sur des affaires de politique intérieure.
Si malgré tout des rapports diplomatiques parviennent par le biais d'indiscrétions à la presse et sont publiés par celle-ci, les divers intérêts publics et privés en jeu doivent alors être soigneusement pesés. Dans cet exercice de mise en balance, je peux m'aligner sans trop de problèmes sur la position du Conseil de la presse en date du 4 mars 1997, selon laquelle la confidentialité des rapports diplomatiques est justifiée mais ne saurait être protégée à n'importe quel prix, et la fonction de critique et de contrôle des médias s'applique également au domaine de la politique étrangère.
La présente espèce se distingue d'emblée d'affaires similaires qui impliquaient des informations dont le contenu avait déjà été rendu public (voir, notamment, Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 53, CEDH 1999-I ; Observer et Guardian c. Royaume-Uni, arrêt du 26 novembre 1991, série A no 216, § 69 ; Weber c. Suisse, arrêt du 22 mai 1990, série A no 177, § 49 ; Vereniging Weekblad Bluf ! c. Pays-Bas, arrêt du 9 février 1995, série A no 306-A, § 44 et s). En l'occurrence, force est de constater que le rapport en question était un document interne, inconnu du public et classé « confidentiel ». Seul un cercle très restreint de personnes, occupant des postes dirigeants au sein de la Confédération, en avait connaissance. Le requérant, eu égard à sa qualité de journaliste et au fait qu'il n'était entré en possession de ce document qu'à la suite d'une indiscrétion de la part d'une personne inconnue, ne pouvait, compte tenu de la nature et de la classification du document, ignorer que sa divulgation était réprimée par l'article 293 du code pénal suisse (voir, mutatis mutandis, Fressoz et Roire précité, § 52).
Je ne mets pas en cause la thèse du requérant selon laquelle les informations contenues dans le document étaient a priori susceptibles de soulever des questions d'intérêt général. Les articles parus dans le Sonntags-Zeitung intervenaient dans le cadre d'un débat public sur une question d'intérêt général, largement évoquée par les médias suisses et ayant divisé profondément l'opinion publique suisse, à savoir celle de l'indemnisation aux victimes de l'Holocauste pour les avoirs en déshérence sur des comptes bancaires suisses (voir, dans le même sens, Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège [GC], no 21980/93, § 63 in fine, CEDH 1999-III). Dans ce contexte, on peut reconnaître également l'intérêt du public à recevoir des informations sur les agents chargés du dossier et de leurs styles et stratégies de négociation.
La publication des extraits du rapport Jagmetti était moins urgente dans une société démocratique parce qu'elle n'avait pas pour but de critiquer une attitude répréhensible du Gouvernement (comme c'était le cas aux Etats-Unis concernant le scandale du Watergate ou les documents du Pentagone relatifs à la guerre du Vietnam) ou de rendre publics des agissements criminels commis par des agents dépendant du Gouvernement (voir, a contrario, Thorgeir Thorgeirson c. Islande, arrêt du 25 juin 1992, série A no 239, ayant trait à une publication concernant des brutalités policières).
En raison des « devoirs et responsabilités » inhérents à l'exercice de la liberté d'expression, la garantie que l'article 10 offre aux journalistes, en ce qui concerne les comptes rendus sur des questions d'intérêt général, sous-entend que les intéressés agissent de bonne foi, de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit dans le respect de la déontologie journalistique(Goodwin c. Royaume-Uni, arrêt du 27 mars 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-II, p. 500, § 39, et Fressoz et Roire, précité, § 54). La Cour, et on peut le comprendre, a toujours scrupule à indiquer à la presse comment celle-ci devrait assumer ses tâches, sur quoi devraient porter ses investigations ou jusqu'où devrait aller sa critique. Cependant, cette affaire fait ressortir de façon frappante la tendance croissante à banaliser des questions extrêmement sérieuses. Le Conseil suisse de la presse, qui n'est pas un organe gouvernemental mais une institution créée par la presse pour superviser la presse, a reproché au compte rendu du Sonntags-Zeitung un manque de professionnalisme. Il a conclu que ce journal avait « (...) de manière irresponsable (...) donné [à l'affaire] une tournure dramatique et scandaleuse », au mépris de l'éthique journalistique. Cette conclusion mérite d'autant plus d'être prise en considération que, dans le même temps, le Conseil de la presse avait approuvé la publication d'extraits du rapport de M. Jagmetti dans le Tages-Anzeiger et le Nouveau Quotidien. J'adhère à cette appréciation du Conseil de la presse. Toutes les indiscrétions, quels que soient leur sujet ou leur présentation, ne peuvent automatiquement passer pour relever d'un exercice légitime de la liberté de la presse devant prévaloir sur tout autre intérêt public ou privé.
Je suis conscient que la liberté de la presse fournit à l'opinion publique un des moyens de connaître et de juger les idées et attitudes des dirigeants et, à cet égard, qu'elle comprend aussi le recours possible à une dose d'exagération, voire même de provocation (Ibrahim Aksoy c. Turquie, no 28635/95, 30171/96 et 34535/97, § 52 in fine, 10 octobre 2000). Néanmoins, j'estime que les extraits du rapport publié ne donnent qu'une image fragmentaire de la question complexe et polarisante des fonds en déshérence. Et même si une publication intégrale s'avérait en l'occurrence impossible, la présentation réductrice du « document stratégique » ne pouvait contribuer de manière constructive à un débat parmi un public bien informé. Le Sonntags-Zeitung n'a pas davantage contribué de manière utile au débat sur la substance des diverses thèses exposées dans le rapport de l'ambassadeur.
Je dirais en conclusion qu'à mon sens il n'est pas disproportionné de considérer que le rapport diplomatique confidentiel en question n'aurait pas dû être mis à disposition du public au moment et sous la forme choisis par le requérant - ces mêmes choix qui, d'après les membres du Conseil suisse de la presse, étaient « irresponsables » et suggéraient « de fausses implications ».

Referenzen

Artikel: Art. 10 CEDH