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38455/06


Portmann Hugo Mario gegen Schweiz
Arrêt no. 38455/06, 11 octobre 2011

Regeste

SUISSE: Art. 3 CEDH. Conditions d'arrestation d'une personne potentiellement dangereuse.

Le requérant, qui s'était évadé de prison et avait commis un vol à main armée, se plaint du traitement infligé lors de son arrestation et de son interrogatoire, notamment de l'obligation de porter un capuchon. Le port du capuchon, même combiné avec des menottes, a été limité à environ deux heures, était accompagné de mesures de sécurité et n'avait pas pour but d'humilier ou de rabaisser l'intéressé. Il n'a donc pas atteint le seuil de gravité exigé par l'art. 3 CEDH (ch. 40 - 57).
Par ailleurs, il n'y a pas eu de violation du volet procédural de l'art. 3 CEDH. Il importe peu que le procès-verbal concernant le déroulement des événements dans les locaux de la police ne mentionne pas d'heure. En outre, le refus de l'octroi de l'assistance judiciaire gratuite au motif que la cause était d'emblée vouée à l'échec n'apparaît pas arbitraire. Le degré de complexité de l'affaire n'est pas très élevé et il ressort des recours introduits devant les instances internes que l'intéressé était capable de présenter ses arguments de façon claire et conséquente (ch. 66 - 72).
Conclusion: non-violation de l'art. 3 CEDH.



Synthèse de l'OFJ
(4ème rapport trimestriel 2011)

Interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (art. 3 CEDH); port d'un capuchon pendant l'arrestation, le transport et l'interrogatoire.

Le requérant, qui s'était évadé de prison et avait commis un vol à main armé, a dû porter un capuchon lors de son arrestation, de son transport et de son interrogatoire. La Cour a retenu que le port du capuchon était limité à une durée d'environ deux heures, était accompagné de mesures de sécurité appropriées et n'avait pas pour but d'humilier ou de rabaisser le requérant. Aussi, le seuil de gravité exigé pour une violation de l'article 3 de la Convention n'a pas été atteint. En outre, le volet procédural de l'article 3 CEDH n'a pas été violé.

Pas de violation de l'article 3 CEDH (6 voix contre 1); pas lieu d'examiner les griefs tirés des articles 6 et 13 CEDH (unanimité).





Faits

En l'affaire Portmann c. Suisse,
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,
Danute Jociene,
David Thór Björgvinsson,
Giorgio Malinverni,
András Sajó,
Isil Karakas,
Paulo Pinto de Albuquerque, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 septembre 2011,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 38455/06) dirigée contre la Confédération suisse et dont un ressortissant de cet Etat, M. Hugo Mario Portmann (« le requérant »), a saisi la Cour le 19 septembre 2006 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») a été représenté par M. A. Scheidegger, son agent suppléant, de l'unité Droit européen et protection internationale des droits de l'homme à l'Office fédéral de la Justice.

3. Le requérant allègue en particulier qu'il aurait subi des mauvais traitements au sens de l'article 3 de la Convention lors de son arrestation.

4. Le 3 novembre 2009, le président de la première section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le prévoit l'article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

5. Par une décision du président du 3 mars 2010, le requérant a été dispensé de l'obligation d'être représenté par un avocat devant la Cour (article 36 § 2 du règlement). Par ailleurs, il a été autorisé à employer la langue allemande dans la présente procédure (article 35 § 3 lettre a, in fine, du règlement).

6. Le 1er février 2011, les sections de la Cour ont été remaniées. La requête a été attribuée à la deuxième section (articles 25 § 1 et 52 § 1 du règlement).
EN FAIT

7. Le requérant est né en 1959 et est actuellement détenu dans un centre pénitentiaire à Regensdorf (canton de Zürich).

8. Le 21 février 1999, le requérant s'évada de l'établissement pénitentiaire « Realta », dans le canton des Grisons, où il purgeait une peine privative de liberté de plusieurs années pour brigandage et prise d'otages, qui avait été transformée en un internement pour une durée indéterminée.

9. Le 2 mars 1999, le requérant et deux complices, dont l'un est un criminel notoire, connu pour sa violence et ses multiples évasions de prison (ci-dessous « W.S. »), attaquèrent, armés d'un fusil et d'un pistolet, la famille du gérant d'une banque à Sirnach (canton de Thurgovie), dans le but de se rendre à la banque avec ce dernier afin d'y dérober de l'argent. Après avoir forcé l'une des victimes à avaler des somnifères, que cette dernière réussit toutefois à recracher, et après avoir attaché ou menotté plusieurs personnes et tiré un coup de feu vers le sol pour les intimider, ils quittèrent les lieux parce qu'ils avaient appris que des réviseurs se rendraient à la banque le même soir.

10. Le 10 mars 1999, vers 9 h 30, le requérant commit un vol à main armée dans une agence de la Banque cantonale de Thurgovie à Horn, avec l'aide de W.S., qui se tenait à une certaine distance et l'informait par téléphone. Masqué par un casque et muni d'une arme à feu, le requérant entra dans la salle des guichets et bloqua la porte d'entrée avec un morceau de bois. Il entra dans une cellule de service, où un employé était en train de servir une cliente. Il poussa la cliente et cria : « Ceci est un hold-up, donnez-moi de l'argent ! », puis il dit à la cliente de ne pas s'éloigner et obligea l'employé, en le menaçant de son arme, à lui remettre de l'argent liquide. Celui-ci lui remit une somme d'environ 112 000 francs suisses (CHF), que le requérant fourra dans un sac avant de quitter les lieux et de s'éloigner en voiture.

11. A la suite de ces événements, la police cantonale de Thurgovie émit un mandat de recherche avec le signalement des auteurs de l'attaque. Au cours de la même journée, l'enquête révéla des indices selon lesquels W.S. pouvait être lié à l'affaire. W.S. fut arrêté vers 16 h 45 dans un bureau de poste à Herisau (canton d'Appenzell Rhodes-Extérieures).

12. Le requérant fut également arrêté le même jour, vers 19 h 45, dans une maison privée à Urnäsch (canton d'Appenzell Rhodes-Extérieures) par des agents de la police cantonale d'Appenzell Rhodes-Extérieures et de Thurgovie.

13. Selon les informations fournies par la police d'Appenzell Rhodes-Extérieures, non contestées par le requérant, celui-ci fut pris par surprise par les agents de police et, suivant le procédé en usage pour l'arrestation de personnes potentiellement dangereuses, couché par terre et menotté aux mains (sur le dos) et aux pieds. Les agents s'assurèrent de l'identité du requérant, qui était connu pour être l'un des délinquants les plus violents de Suisse, n'hésitant pas à faire usage d'une arme à feu. Dans la pièce où ils se trouvaient, une arme chargée était posée contre un mur ; une seconde arme à feu, également chargée, fut trouvée lors d'une perquisition menée par la suite. Une fois que le requérant eût été relevé, les agents lui posèrent quelques questions, notamment si d'autres personnes étaient dans la maison, et au sujet d'objets qui s'y trouvaient. Le requérant se serait comporté de manière très agressive, aurait insulté les agents et répété à plusieurs reprises qu'ils avaient eu de la chance de l'avoir surpris avant qu'il pût se saisir d'une arme, sans quoi il les aurait tués. C'est alors que, pour se protéger et éviter une mise en danger du requérant et d'eux-mêmes, les agents le recouvrirent d'un capuchon en tissu (selon le requérant, il s'agissait de simples taies d'oreiller). Les agents lui expliquèrent le but de la mesure, contre laquelle il ne se défendit pas, et lui demandèrent s'il arrivait à respirer normalement, ce qu'il confirma. Comme il ne pouvait rien voir, les agents continuèrent par la suite à lui expliquer ce qui se passait. Ils le conduisirent au poste de police de Herisau, qui se trouve à environ 12 km de l'endroit où il fut arrêté. Selon l'affirmation du Gouvernement, il s'agissait du poste le plus proche du lieu de l'arrestation, sauf celui de Trogen (canton d'Appenzell-Extérieures), où il n'y avait à ce moment-là pas de place disponible.

14. Une fois arrivé dans les locaux de la police à Herisau, le requérant fut confronté au juge d'instruction ( Verhörrichter ). La durée exacte de cette confrontation est contestée par les parties. Selon le Gouvernement, le requérant fut simplement informé des raisons de son arrestation, qui avait été requise par les autorités du canton de Thurgovie, et du transfert prévu à Frauenfeld. Le requérant aurait admis avoir pris connaissance de ces informations, puis les agents lui demandèrent s'il avait quelque chose à ajouter et il répondit que ce n'était pas le cas. Aucune autre question ne lui aurait été posée, ce qui ressort également du procès-verbal établi à cet égard. Contrairement au Gouvernement, le requérant prétend qu'un véritable interrogatoire aurait eu lieu, qui aurait duré entre vingt et trente minutes, puisqu'il aurait refusé de répondre aux questions posées. Le procès-verbal (« Einvernahmeprotokoll ») indique que le requérant a été informé par le juge d'instruction des raisons de son arrestation sans indiquer ni le début ni la fin de cette confrontation.

15. Il n'est pas contesté que, par la suite, les agents de police enlevèrent le capuchon afin de permettre au requérant de lire et signer le procès-verbal, avec l'injonction de ne pas regarder autour de lui. Selon ses dires, il aurait néanmoins remarqué plusieurs agents de police munis de masques. Après avoir refusé de signer le procès-verbal, le requérant dut remettre le capuchon.

16. Le requérant fut ensuite conduit dans une cellule au sous-sol et, à 21 h 50, emmené au poste de Trogen. C'est à ce moment-là qu'on lui enleva le capuchon et les menottes des mains et des pieds.

17. Le lendemain, il fut conduit à Frauenfeld et remis aux autorités d'enquête du canton de Thurgovie.

18. Par un jugement du 21 mars 2001, le tribunal de district de Münchwilen (canton de Thurgovie) condamna le requérant à une peine d'emprisonnement de dix ans. Le 20 décembre 2001, la cour d'appel du canton de Thurgovie réduisit sa peine à neuf ans d'emprisonnement, en retenant notamment les chefs de prise d'otages, brigandages répétés, lésions corporelles, violation de domicile et dommage à la propriété. Cette condamnation fut confirmée en dernière instance par un arrêt du Tribunal fédéral du 27 mai 2003.[1]
Le requérant s'est plaint devant la Cour de l'arrêt du Tribunal fédéral du 27 mai 2003 (voir Portmann c. Suisse (déc.), n°1356/04, décisions du 29 mai 2006 et du 22 avril 2008).

19. Par une lettre du 4 avril 2006, le requérant adressa une plainte pénale à l'Office du juge d'instruction ( Verhöramt ) du canton d'Appenzell Rhodes-Extérieures (ci-après l'« Office »). Il affirma avoir été soumis à des traitements inhumains ou dégradants au sens de l'article 3 lors de son arrestation, de son transport et de sa confrontation avec le juge d'instruction à Herisau.

20. Par décision du 3 mai 2006, sans avoir entendu des témoins, l'Office classa sans suites la procédure pénale. Sans exclure que la mesure visant à masquer le visage du requérant lors de la confrontation avec le juge d'instruction dans les locaux de la police à Herisau péchait par excès de prudence (« übervorsichtig »), il releva que les policiers avaient recouru aux mesures habituelles en présence de suspects présumés dangereux et qu'ils avaient fait usage de moyens appropriés. Partant, il n'y avait pas eu de violation du principe de la proportionnalité et l'arrestation ne constituait pas une violation de la Convention.

21. Le requérant forma un recours auprès du Ministère public du canton d'Appenzell Rhodes-Extérieures. Celui-ci examina l'ensemble des faits énoncés dans le recours, notamment sous l'angle de l'abus de pouvoir. Statuant le 24 juillet 2006, il déclara le recours du requérant recevable, bien que celui-ci eût déposé sa plainte plus de sept ans après l'arrestation litigieuse. Compte tenu de ce fait, il estima que c'était à juste titre que l'Office avait renoncé à entendre des témoins.
Le Ministère public considéra en revanche le recours comme mal fondé. Il estima que la légalité de l'intervention policière devait s'analyser à la lumière des faits concrets du cas d'espèce, en ayant égard notamment à la durée des mesures de contrainte. Il exposa que la police avait présumé qu'il s'agissait d'un suspect dangereux, qui venait de commettre un brigandage armé dans une agence bancaire. La couverture de ses yeux se serait avérée indispensable afin de préserver l'anonymat des agents de police et, en même temps, de limiter la liberté d'action du suspect. Par ailleurs, les mesures de sécurité dénoncées auraient été contrôlées de manière adéquate par les agents, qui l'auraient surveillé pratiquement pendant toute la durée de l'intervention litigieuse. Le Ministère public ne remit pas en question que la durée des mesures de contrainte subies par le requérant avait été relativement longue, et la manière de procéder probablement sévère (« hart und konsequent »), mais il estima que l'application de ces mesures n'était pas déraisonnable, compte tenu du danger potentiel que représentait le requérant. Les agissements des agents de police ne devaient pas être considérés comme constituant des infractions pénales, notamment pas un abus de pouvoir. A la lumière de ces conclusions, le Ministère public n'estima pas nécessaire d'examiner s'il y avait eu violation de l'article 3 de la Convention. En même temps, il rejeta la demande d'assistance judiciaire gratuite.

22. Le 27 juillet 2006, le requérant saisit le Tribunal fédéral d'un recours de droit public contre la décision de l'instance inférieure, en invoquant notamment l'article 3 de la Convention.

23. Le Tribunal fédéral rejeta le recours le 8 septembre 2006, en confirmant la motivation du Ministère public et concluant que les faits dénoncés ne violaient pas l'article 3 de la Convention. Il confirma l'avis de l'instance inférieure selon lequel le traitement infligé au requérant était certes sévère, mais qu'il avait néanmoins respecté le principe de proportionnalité. Il rejeta également une demande tendant à l'obtention de l'assistance judiciaire gratuite, estimant vouée d'emblée à l'échec la cause pour laquelle elle avait été demandée.


Considérants

EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

24. Le requérant allègue qu'il a été soumis à des traitements inhumains et dégradants lors de son arrestation, de son transport et de son interrogatoire, le 10 mars 1999, notamment par l'obligation de porter un capuchon. Il se prévaut de l'article 3 de la Convention, libellé comme il suit :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

25. Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité

26. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Sur le volet matériel de l'article 3
a. Les thèses des parties
i. Le requérant

27. Le requérant conteste que l'objet que les policiers auraient mis sur sa tête pour l'empêcher de voir était un capuchon. Selon lui, il s'agissait de deux taies d'oreiller.

28. Le requérant conteste également la version des faits présentée par le Gouvernement concernant le déroulement des événements dans les locaux de la police à Herisau (paragraphe 14 ci-dessus). Contrairement au Gouvernement, il allègue qu'il a été soumis à un véritable interrogatoire pendant lequel il a été obligé de porter le capuchon. L'interrogatoire aurait duré entre vingt et trente minutes, étant donné qu'il aurait refusé de répondre aux questions des agents. Il aurait seulement répondu à la question de son identité. En tout état de cause, en tant que juriste de formation, le juge d'instruction aurait dû savoir qu'une telle méthode d'interrogatoire pose des problèmes au regard de l'article 3 de la Convention.

29. Le requérant considère comme inutile cette méthode d'interrogatoire. Si elle avait pour but de protéger les agents et le juge d'instruction, il aurait dû en principe porter les taies d'oreiller également lors des audiences devant les tribunaux pour protéger les magistrats. Il juge cette manière de procéder contraire à toutes les garanties d'un Etat de droit. Il considère en outre comme cynique l'allégation du Gouvernement selon laquelle le fait de recouvrir sa tête de taies d'oreiller avait été ordonné également pour sa propre protection et sécurité.

30. Par ailleurs, le requérant juge exagérées les mesures de sécurité qui ont entouré son arrestation. Il rappelle qu'au moment où on lui a enlevé les taies d'oreiller pour lire et signer le procès-verbal, il a remarqué que se trouvaient dans la pièce plusieurs agents de police masqués. En outre, il rappelle qu'il ne voyait absolument rien à cause des taies d'oreiller et qu'on lui a mis des menottes aux mains et aux pieds. Par ailleurs, il a fait l'objet de surveillance par plusieurs agents de police, dont certains avec des chiens. Ainsi, les mesures visant à l'empêcher de s'enfuir étaient, à ses yeux, totalement disproportionnées.

31. Compte tenu de ce qui précède, le requérant est convaincu qu'il a été soumis à de mauvais traitements au sens de l'article 3 de la Convention.
ii. Le Gouvernement

32. Le Gouvernement estime que les affirmations du requérant, selon lesquelles il aurait été soumis à un premier interrogatoire à Herisau alors qu'il portait un capuchon l'empêchant de voir sont erronées, et qu'il y a lieu pour la Cour de fonder son appréciation sur les faits tels qu'ils ressortent du dossier de l'affaire. En effet, il ressort du procès-verbal de l'audition qu'il s'agissait uniquement d'informer le requérant des raisons de son arrestation et du transfert prévu vers le canton de Thurgovie, comme le prévoit l'article 5 § 2. Cette première audition sert également, selon le Gouvernement, à vérifier si le détenu a des besoins spéciaux, notamment médicaux. Il ne s'agit ainsi pas d'un premier interrogatoire concernant l'enquête pénale.

33. Le Gouvernement rappelle également que le requérant a été arrêté en rapport avec le braquage d'une banque avec prise d'otages, commis le jour même. Lors de son arrestation, il s'avéra qu'il s'agissait d'un délinquant connu pour être particulièrement dangereux qui, peu de temps auparavant, s'était évadé de la prison où il était détenu. De plus, le requérant se serait montré agressif et aurait proféré des menaces sérieuses à l'encontre des agents de police. Ces derniers devaient ainsi se montrer particulièrement prudents.

34. Le Gouvernement soutient qu'il était approprié, dans ces circonstances, que la police décide de procéder à l'arrestation de manière conséquente, afin d'éviter que le suspect ne puisse prendre la fuite et de réduire au minimum les risques encourus par les agents ou par des tiers. La procédure à suivre dans des cas de ce type veut que la personne arrêtée soit, dans un premier temps, menottée et recouverte d'un capuchon, afin que sa capacité d'agir soit réduite et qu'elle ne puisse pas reconnaître les agents de police.

35. Le Gouvernement relève qu'il ne ressort pas du dossier à quel moment le capuchon lui fut retiré. Selon le requérant, ce fut lorsqu'il arriva à Trogen. Selon le procès-verbal de l'opération de police, le requérant fut amené dans une cellule au poste de Trogen à 21 h 50, soit deux heures après son arrestation. Tout au plus, le requérant a ainsi été empêché de voir pendant une durée de deux heures. Durant tout ce temps, il était surveillé par un agent de police, comme le prévoient les règles en la matière.

36. Le Gouvernement précise également que le requérant n'a pas été blessé et n'a pas subi de violences de la part des agents de police, ni physiques ni verbales. Il n'aurait pas non plus été traité de manière dégradante, les agents lui ayant notamment expliqué tout ce qui se passait dès le moment où il était empêché de voir.

37. Le Gouvernement relève également que le requérant ne prétend pas non plus s'être plaint de la mesure incriminée auprès des agents ni d'avoir demandé qu'on lui retire le capuchon. De même, il ne se plaint pas d'avoir ressenti des souffrances particulières ou de s'être senti angoissé ou humilié. Il aurait ainsi précisé dans son recours au Ministère public du canton d'Appenzell Rhodes-Extérieures qu'il ne voulait pas porter plainte pour abus de pouvoir et que son grief concernait uniquement le fait d'avoir été interrogé alors que sa tête était recouverte d'un capuchon (décision du 24 juillet 2006 du Ministère public de ce canton).

38. Le Gouvernement estime également que le fait que le requérant ait attendu près de sept ans avant de former sa plainte confirme l'impression qu'il n'a pas été soumis à des souffrances ou à une humiliation sérieuses. Si tel avait été le cas, il est très probable que le requérant l'aurait fait valoir dans le cadre de la procédure pénale ou du moins immédiatement après le déroulement des faits. Enfin, le Gouvernement rappelle que la Cour a considéré que le fait de recouvrir les yeux d'un détenu dangereux afin d'empêcher qu'il reconnaisse les agents de police, qu'il puisse fuir ou qu'il se blesse lui-même ou des tiers ne constitue pas un traitement inhumain ou dégradant, dans la mesure où le procédé était justifié par les circonstances de l'espèce (Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 183, CEDH 2005-IV). Selon le Gouvernement, tel est manifestement le cas en l'espèce au regard des circonstances particulières de l'arrestation du requérant.

39. Compte tenu de ce qui précède, le requérant n'aurait pas subi un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention.
b. L'appréciation de la Cour
i. Principes généraux

40. La Cour rappelle que l'article 3 de la Convention prohibe en termes absolus la torture et les peines et traitements inhumains ou dégradants, quels que soient les circonstances ou les agissements de la victime (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 119, CEDH 2000-IV). Une violation de l'article 3 exige toutefois le dépassement d'un certain seuil de gravité, dont l'appréciation est relative par essence et dépend de l'ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement, de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge, de l'état de santé de la victime, etc. (Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, § 162, série A no 25).

41. Un traitement est « inhumain » au sens de l'article 3 notamment s'il a été appliqué avec préméditation pendant une longue durée, et s'il a causé soit des lésions corporelles, soit de vives souffrances physiques ou mentales (voir, entre autres, Kudla c. Pologne [GC], no 30210/96, § 92, CEDH 2000-XI, ou Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 68, CEDH 2006-IX). En outre, en recherchant si une peine ou un traitement est « dégradant » au sens de l'article 3, la Cour examinera si le but était d'humilier et de rabaisser l'intéressé et si, considérée dans ses effets, la mesure a ou non atteint la personnalité de celui-ci d'une manière incompatible avec l'article 3 (Albert et Le Compte c. Belgique, arrêt du 10 février 1983, § 22, série A no 58, principe confirmé à maintes reprises, récemment dans l'affaire Al-Saadoon et Mufdhi c. Royaume-Uni, no 61498/08, § 121, 2 mars 2010). Pour que l'arrestation ou la détention d'une personne dans le cadre d'une poursuite judiciaire soit dégradante au sens de l'article 3, l'humiliation ou l'avilissement dont elle s'accompagne doit se situer à un niveau particulier et différer en tout cas de l'élément habituel d'humiliation inhérent à chaque arrestation ou détention (voir, mutatis mutandis, Raninen c. Finlande, arrêt du 16 décembre 1997, § 55, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII).

42. Dans l'affaire Irlande c. Royaume-Uni, (18 janvier 1978, série A no 25), l'encapuchonnement, soit la couverture des têtes des détenus d'un sac qui y demeurait en permanence sauf pendant les interrogatoires, était une technique d'interrogatoire parmi les cinq existantes et était cumulée avec la station des suspects debout contre un mur, soumis à du bruit, privés de sommeil ainsi que de nourriture solide et liquide, et ce durant des laps de temps prolongés. Dans cette affaire, la Cour a conclu que le recours aux « cinq techniques » s'analysait en une pratique de traitements inhumains et dégradants contraires à l'article 3 (§ 168).

43. Dans l'affaire Hurtado c. Suisse (28 janvier 1994, série A no 280-A) , le requérant alléguait avoir subi de mauvais traitements lors de son arrestation, notamment en raison du port d'une cagoule. La Commission européenne des droits de l'homme a noté des divergences quant au moment où celle-ci avait été enfilée sur la tête du requérant, mais a constaté toutefois que celui-ci l'avait portée au maximum pendant quinze minutes. Partant, elle a conclu que, dans les conditions spécifiques de l'affaire, il n'y avait pas eu violation de l'article 3 (Rapport de la Commission du 8 juillet 1993, §§ 56 et suiv. ; cette affaire a été rayée du rôle par la Cour à la suite d'un règlement amiable intervenu entre les parties, cf. Hurtado c. Suisse, précité).

44. Plus tard, la Cour a estimé que le fait de bander les yeux d'un détenu, le rendant ainsi artificiellement aveugle pendant de longues périodes, réparties sur plusieurs jours, peut engendrer, combiné avec d'autres mauvais traitements, de fortes pressions psychologiques et physiques sur lui. L'effet de pareil traitement doit être examiné sur la base des circonstances particulières de chaque affaire (voir, mutatis mutandis, Salman c. Turquie [GC], no 21986/93, § 132, CEDH 2000-VII).

45. Dans l'arrêt Öcalan c. Turquie, précité, § 184, la Grande Chambre a fait siens les constats de la Chambre, énoncés dans les termes suivants :
« (...)En ce qui concerne le bandeau que le requérant a dû porter sur les yeux durant son voyage du Kenya en Turquie, la Cour observe que les membres des forces de l'ordre l'avaient mis dans le but d'éviter d'être reconnus par l'intéressé. Ils pensaient également pouvoir ainsi empêcher le requérant de tenter de s'évader ou de se blesser lui-même ou de blesser un tiers. Le requérant n'a pas été interrogé par les membres des forces de l'ordre lorsqu'il avait le bandeau sur les yeux. La Cour accepte l'explication du Gouvernement selon laquelle les membres des forces de l'ordre, en prenant cette précaution, ne visaient pas à humilier et rabaisser le requérant, mais avaient pour mission d'assurer le bon déroulement de son transfert, lequel, il faut l'admettre, nécessitait beaucoup de prudence et de précautions, vu la personnalité du requérant et les réactions qu'avait suscitées son arrestation.
(...). »

46. Dans l'affaire Petyo Petkov c. Bulgarie, no 32130/03, 7 janvier 2010, le requérant a été contraint de dissimuler son visage avec une cagoule lors de ses sorties de sa cellule pendant un an et un mois. Après avoir pris en compte la durée prolongée et les modalités de la mesure contestée, l'absence de base légale de celle-ci et son caractère arbitraire, ainsi que l'existence d'un aspect punitif dans son application, la Cour a conclu que les effets psychologiques de la mesure contestée étaient allés au-delà du seuil de gravité exigé pour l'application de l'article 3 et que le requérant avait bien été soumis à un traitement dégradant.

47. Le port des menottes ne pose normalement pas de problème au regard de l'article 3 lorsqu'il est lié à une arrestation ou à une détention légale et n'entraîne pas l'usage de la force ou une exposition publique au-delà de ce qui est raisonnablement considéré comme nécessaire dans les circonstances de l'espèce. A cet égard, il importe de déterminer si l'intéressé opposera une résistance à l'arrestation, ou tentera de fuir ou de provoquer des blessures ou des dommages ( Raninen, précité, § 56).
ii. Application des principes susmentionnés au cas d'espèce
- Observations préalables

48. En ce qui concerne le cas d'espèce, la Cour estime opportun de définir de manière précise l'objet de la requête. Elle note à cet égard que le requérant ne se plaint que du port du capuchon pendant son arrestation, son transport et sa confrontation avec le juge d'instruction. Selon lui, ce fait aurait enfreint l'article 3. En revanche, il ne fait pas valoir qu'il aurait subi d'autres traitements inhumains, ni physiques ni psychiques, au sens de cette disposition. Il n'allègue pas non plus avoir été humilié au-delà du niveau habituel d'humiliation inhérent à chaque arrestation. La seule question qui se pose ainsi à la Cour est celle de savoir si le port du capuchon, combiné avec le port de menottes aux mains et aux pieds, s'avère disproportionné et, dès lors, contraire à l'interdiction des traitements dégradants. Elle l'examinera à la lumière de l'ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement, de ses effets physiques ou mentaux, du sexe, de l'âge et de l'état de santé du requérant (paragraphe 40 ci-dessus).

49. La Cour s'étonne du fait que le requérant n'ait déposé sa plainte pénale que le 4 avril 2006, soit plus de sept ans après les événements. En dépit de ce retard, les autorités internes ont néanmoins examiné la plainte, mais l'ont rejetée sur le fond. La Cour estime que ce fait n'est pas sans pertinence pour l'appréciation des effets qu'a pu avoir le traitement critiqué sur le requérant. En effet, il est probable que si le port du capuchon avait eu un impact important sur lui, il n'aurait pas attendu si longtemps pour s'en plaindre. Au demeurant, le requérant, né en 1959, avait quarante ans au moment des faits et n'allègue pas avoir eu des problèmes de santé particuliers qui auraient rendu la mesure litigieuse plus difficilement supportable.

50. Dans le cas d'espèce, la Cour estime opportun d'examiner l'allégation de mauvais traitements en distinguant les événements pertinents dans leurs différentes phases.
- L'arrestation et le transport du requérant

51. S'agissant de la durée du traitement litigieux pendant l'arrestation du requérant et son transport, la Cour observe qu'il a été limité dans le temps. Il ressort sans équivoque des décisions des instances internes que le requérant a été arrêté le 10 mars 1999, à 19 h 45 et que c'est à ce moment-là que les agents de police l'ont encapuchonné et menotté. Il n'est pas non plus contesté que les autorités lui ont enlevé le capuchon et les menottes le même soir, à 21 h 50. Ces mesures ont dès lors été maintenues pendant à peu près deux heures.

52. La Cour partage l'avis du Gouvernement selon lequel le requérant est un homme particulièrement dangereux contre lequel les policiers devaient se protéger de manière adéquate. Il convient de rappeler, à cet égard, que le requérant s'est évadé, le 21 février 1999, de l'établissement pénitentiaire dans lequel il purgeait une peine privative de liberté de plusieurs années pour des infractions antérieures (paragraphe 8 ci-dessus). Déjà quelques jours plus tard, le 2 mars 1999, il a attaqué avec deux complices, dont un criminel notoire, la famille du gérant d'une banque, armé d'un fusil et d'un pistolet. Huit jours plus tard, il s'en est pris à une autre banque, de nouveau avec un complice et muni d'armes à feu. Par ailleurs, au lieu de son arrestation, la police a trouvé plusieurs armes à feu chargées. Lors de l'arrestation, il s'est comporté de manière très agressive et a dit à plusieurs reprises que les agents de police avaient de la chance de l'avoir surpris, sans quoi il les aurait tués.

53. Après avoir reconnu la dangerosité du requérant, les policiers ont considéré nécessaire de recouvrir sa tête d'un capuchon et de le menotter pour éviter sa fuite et une mise en danger de lui-même et des agents. A l'instar du Ministère public (paragraphe 21 ci-dessus), la Cour juge appropriées les mesures prises. Elle souligne que le port du capuchon était en l'espèce un moyen utilisé à la fois pour réduire la liberté d'action de la personne arrêtée et pour préserver l'anonymat des agents de police et, partant, de les protéger contre d'éventuels actes de représailles par la suite. Une fois arrivé dans les locaux de la police à Herisau, et après avoir été soumis à une brève confrontation avec le juge d'instruction, le requérant a été amené au poste de Trogen, où on lui a enlevé tout de suite le capuchon et les menottes.

54. Il est également important, aux yeux de la Cour, que le port du capuchon a été accompagné par les mesures de sécurité nécessaires. Selon les observations du Gouvernement, non contestées par le requérant, celui-ci ne s'est pas défendu contre le port du capuchon et a confirmé aux agents, à leur demande, qu'il arrivait à respirer normalement. Par la suite, il a été surveillé presque toujours par un agent de police, conformément aux règles en vigueur en la matière. Dans ces circonstances, il importe peu, selon la Cour, qu'il s'agissait d'un capuchon ou, comme le prétend le requérant, de deux taies d'oreiller.
- La confrontation avec le juge d'instruction

55. En ce qui concerne l'allégation du requérant selon laquelle il aurait été soumis à un véritable interrogatoire par le juge d'instruction une fois arrivé dans les locaux de la police à Herisau et qu'il aurait dû porter le capuchon pendant cet interrogatoire, qui aurait duré entre vingt et trente minutes, la Cour estime qu'un tel comportement, s'il s'avérait être vrai, ne saurait être considéré comme compatible avec l'article 3. Elle observe toutefois que, dans le cas d'espèce, la durée de la confrontation entre le requérant et le juge d'instruction est litigieuse entre les parties. Or, il n'existe aucun document dans le dossier qui confirmerait la thèse du requérant ; partant, bien que le procès-verbal soit intitulé "Einvernahmeprotokoll", la Cour n'a pas de raison de mettre en doute l'affirmation du Gouvernement et de s'écarter du contenu de ce procès-verbal, selon lequel le requérant a simplement été informé des raisons de son arrestation. De surcroît, la Cour estime que la différence de points de vue des parties sur cet aspect est au moins en partie due au fait que l'arrestation remonte à 1999 et que le retard du requérant dans le dépôt de sa plainte pénale rend plus difficile une reconstitution détaillée des événements pertinents.
- Conclusion

56. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que le port du capuchon, même combiné avec des menottes, a été limité à environ deux heures, était accompagné de mesures de sécurité appropriées et n'avait pas pour but d'humilier ou de rabaisser le requérant. Il n'a donc pas atteint le seuil de gravité exigé pour tomber sous le coup de l'article 3 de la Convention.

57. Dès lors, le requérant n'a pas subi un traitement dégradant au sens de l'article 3 de la Convention et il n'y a pas eu violation de cette disposition.
2. Sur le volet procédural
a. Les thèses des parties
i. Le requérant

58. Le requérant attire l'attention de la Cour sur le fait que le procès-verbal concernant le déroulement des événements dans les locaux de la police à Herisau ne mentionne pas d'heure.

59. Il critique également le fait qu'on ne l'a pas mis au bénéfice de l'assistance judiciaire gratuite devant les instances internes. En tant que détenu, il n'aurait pas possédé les moyens pour rémunérer un avocat. En outre, il n'aurait pas eu les connaissances juridiques suffisantes pour se défendre de manière adéquate sans l'aide d'un représentant professionnel.
ii. Le Gouvernement

60. Le Gouvernement rappelle que les autorités saisies par le requérant ont estimé que les procédés utilisés ne constituaient ni une infraction pénale, ni un traitement contraire à la Constitution ou au droit international, en particulier à la Convention. Une enquête ne doit être ouverte que si une personne affirme de manière défendable avoir subi des traitements contraires à l'article 3. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce. Les autorités saisies n'étaient dès lors pas tenues d'ouvrir une enquête pénale.

61. Selon le Gouvernement, le cas d'espèce n'est pas comparable aux affaires dans lesquelles la Cour a constaté une violation du volet procédural de l'article 3. Dans ces affaires, les traitements qu'affirmaient avoir subi les requérants étaient clairement contraires à cette disposition et les conclusions tirées par les autorités ne reflétaient pas les faits tels qu'ils avaient été présentés par eux.

62. En ce qui concerne l'indépendance des personnes responsables de l'enquête, la question ne se pose que si une enquête doit être menée en vertu de l'article 3. Si tel avait été le cas, l'enquête aurait pu être confiée à un juge d'instruction extraordinaire, appelé d'un autre canton, procédé qui est effectivement appliqué par les autorités du canton d'Appenzell Rhodes-Extérieures.

63. Le Gouvernement rappelle également qu'une décision de classement peut être contestée d'abord auprès du Ministère public, puis devant le Tribunal fédéral. En l'espèce, le Tribunal fédéral est entré en matière et a examiné au fond les griefs du requérant, dans la mesure où ceux-ci étaient recevables. Les allégations de ce dernier ont ainsi été examinées par une autorité indépendante, qui aurait pu ordonner qu'une enquête soit menée.

64. Enfin, le Gouvernement soutient qu'il y a encore lieu de tenir compte en l'espèce de ce que le requérant a attendu sept ans avant de se plaindre des faits incriminés. Durant la procédure pénale, il a soulevé de nombreux griefs procéduraux. Il aurait eu tout loisir de soulever les griefs faisant l'objet de la présente procédure dans le cadre de la procédure pénale ou de former une plainte plus rapidement après les faits. La tardiveté de la plainte a rendu d'autant plus difficile le travail des autorités, qui ont néanmoins utilisé tous les moyens pertinents pour reconstituer le déroulement de l'arrestation du requérant.

65. Au vu de ce qui précède, le Gouvernement estime qu'il n'y a pas eu violation du volet procédural de l'article 3.
b. L'appréciation de la Cour
i. Principes généraux

66. La Cour considère que lorsqu'un individu affirme de manière défendable avoir subi, aux mains de la police ou d'autres services comparables de l'Etat, des traitements contraires à l'article 3, cette disposition, combinée avec le devoir général imposé à l'Etat par l'article 1 de la Convention de « reconnaître à toute personne relevant de [sa] juridiction, les droits et libertés définis (...) [dans la] Convention », requiert, par implication, qu'il y ait une enquête officielle effective. Cette enquête, à l'instar de celle résultant de l'article 2, doit pouvoir mener à l'identification et à la punition des responsables (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 131, CEDH 2000-IV). S'il n'en allait pas ainsi, nonobstant son importance fondamentale, l'interdiction générale de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants serait inefficace en pratique, et il serait possible dans certains cas à des agents de l'Etat de fouler aux pieds, en jouissant d'une quasi-impunité, les droits de ceux qui sont soumis à leur contrôle (arrêt Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 102, Recueil 1998-VIII).

67. La Cour rappelle que pour qu'une enquête menée au sujet de mauvais traitements commis par des agents de l'Etat puisse passer pour effective, on peut considérer, d'une manière générale, qu'il est nécessaire que les personnes qui en sont responsables et celles qui effectuent les investigations soient indépendantes de celles impliquées dans les événements (voir, par exemple, les arrêts Güleç c. Turquie du 27 juillet 1998, §§ 81-82, Recueil 1998-IV, et Ögur c. Turquie [GC] no 21954/93, §§ 91-92, CEDH 1999-III). Cela suppose non seulement l'absence de tout lien hiérarchique ou institutionnel, mais également une indépendance pratique (voir, par exemple, l'arrêt Ergi c. Turquie du 28 juillet 1998, §§ 83-84, Recueil 1998-IV, et Kelly et autres c. Royaume-Uni, no 30054/96, § 114, 4 mai 2001).
ii. Application des principes susmentionnés au cas d'espèce

68. La Cour constate que le requérant n'a pas étayé, ni devant les instances internes ni devant elle, en quoi la réaction des autorités à la suite du dépôt de sa plainte pénale aurait été contraire à l'article 3. Il se contente de prétendre, dans le cadre de ses observations du 7 avril 2010, que le procès-verbal concernant les événements dans les locaux de la police à Herisau ne mentionne pas d'heure et qu'il aurait dû être admis au bénéfice de l'assistance judiciaire gratuite.

69. La Cour estime qu'il ressort des décisions internes que les autorités nationales ont dûment examiné les allégations du requérant, et ce malgré le fait qu'il a attendu sept ans pour déposer sa plainte et qu'il n'a pas fourni d'explication valable pour ce retard. En tout état de cause, il ne prétend pas avoir été empêché par les autorités de porter plainte plus tôt.

70. La Cour estime également que les autorités internes ont expliqué de manière convaincante pour quelles raisons elles estimaient les griefs du requérant comme dépourvus de fondement et, dès lors, pourquoi il n'apparaissait pas opportun de procéder à une instruction complète de l'affaire, y compris l'audition du requérant ou de témoins. La valeur probante de leurs dépositions aurait de toute façon dû être appréciée à la lumière du fait que sept ans se sont écoulés depuis les événements.

71. Compte tenu de ce qui précède et notamment à la lumière de la durée totale de la mesure litigieuse, s'élevant à deux heures, il importe peu, selon la Cour, qu'il ne ressorte ni des décisions internes ni du procès-verbal combien de temps la confrontation avec le juge d'instruction dans les locaux de la police à Herisau a effectivement duré. Il en va de même quant à la question de savoir si on avait empêché le requérant de voir au moyen d'un capuchon ou, comme il le prétend, par deux taies d'oreiller. Eu égard aux décisions dûment motivées des instances internes, il n'apparaît pas comme déraisonnable ou arbitraire d'avoir refusé au requérant l'octroi de l'assistance judiciaire gratuite au motif que la cause était d'emblée vouée à l'échec. Le degré de complexité de la cause du requérant n'apparaît par ailleurs pas comme très élevé et il ressort de ses recours introduits devant les instances internes qu'il était capable de présenter ses arguments de manière suffisamment claire et conséquente.

72. Partant, il n'y a pas eu violation du volet procédural de l'article 3 de la Convention.
II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

73. Invoquant les articles 6 et 13, le requérant prétend également que les juridictions internes auraient méconnu son droit d'accès à un tribunal et son droit à un recours effectif, dans la mesure où elles ont rejeté sa plainte ainsi que ses recours.

74. La Cour estime qu'en présence d'allégations de violation de l'article 3, les griefs relatifs aux articles 6 et 13 se confondent en l'espèce essentiellement avec le volet procédural de l'article 3.

75. Ces griefs ne sont dès lors pas examinés séparément.


Disposition

PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Déclare, à l'unanimité, la requête recevable quant au grief tiré de l'article 3 ;
2. Dit, par six voix contre une, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 3 de la Convention ;
3. Dit, à l'unanimité, qu'il n'y a pas lieu d'examiner les griefs tirés des articles 6 et 13 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 octobre 2011, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley Naismith         Greffier
Françoise Tulkens     Présidente
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion séparée du juge Pinto de Albuquerque.
F.T.
S.H.N.
OPINION DISSIDENTE DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE
(Traduction)
Je ne puis me rallier à l'opinion de la majorité en ce qui concerne le volet matériel de l'article 3. Je considère que la pratique consistant à encapuchonner une personne constitue en soi un traitement inhumain et dégradant et que les circonstances particulières de l'espèce l'ont aggravé. Pour expliquer les raisons de mon dissentiment, je commencerai par décrire les normes internationales en matière de droits de l'homme et de droit humanitaire applicables à la pratique de l'encapuchonnement en me référant aux décisions et opinions des autorités judiciaires, politiques et médicales qui se sont exprimées sur cette question. Je poursuivrai par l'établissement des faits pertinents en l'espèce, en mettant l'accent sur les pièces du dossier et les observations des parties. Enfin, j'appliquerai les normes pertinentes aux faits en question en m'interrogeant sur la base légale de l'encapuchonnement, sa nécessité et sa proportionnalité dans le cadre des opérations de police et des interrogatoires judiciaires.
I. Les normes internationales en matière de droits de l'homme et de droit humanitaire
1.La position de la Cour
La Cour a clairement censuré l'encapuchonnement de détenus dans l'affaire Irlande c. Royaume-Uni (requête no 5310/71, 18 janvier 1978). Dans cette affaire, il était ressorti des faits établis par la Commission que cette pratique consistait à couvrir la tête des détenus d'un sac noir ou bleu marine qui, au moins au début, y demeurait en permanence, sauf pendant les interrogatoires. Il s'agissait là de l'une des techniques de « désorientation » ou de « privation sensorielle » utilisées en Irlande du nord par les forces de sécurité britanniques contre des terroristes présumés. Elle était parfois combinée avec d'autres méthodes telles que la station debout contre un mur en « posture de tension », l'exposition au bruit, la privation de sommeil et la privation prolongée de nourriture solide et liquide. Considérées comme des actes de torture par l'unanimité des membres de la Commission, ces pratiques furent requalifiées en mauvais traitements par la majorité de la Cour.
La Suisse fit ultérieurement l'objet d'une requête portant sur l'encapuchonnement d'un détenu par la police. Dans l'affaire Hurtado c. Suisse (requête no 17549/90), le requérant s'était plaint du traitement auquel il avait été soumis pendant sa détention par la police, qui lui avait mis une cagoule sur la tête et lui avait fait subir des violences physiques. La Cour raya l'affaire du rôle après la conclusion d'un règlement amiable aux termes duquel la Suisse s'était engagée à verser au requérant la somme de 14 000 francs suisses (CHF).
Dans l'affaire Salman c. Turquie (requête no 21986/93, 27 juin 2000), la Cour a jugé que l'Etat défendeur avait manqué à ses obligations au titre de l'ancien article 25 § 1 de la Convention, estimant que le fait de bander les yeux de la requérante n'avait pas manqué d'accroître la vulnérabilité de celle-ci, provoquant en elle angoisse et détresse, et s'analysait dans les circonstances de la cause en un traitement oppressif.
Dans l'affaire Elci et autres c. Turquie (requêtes nos 23145/93 et 25091/94, 13 novembre 2003), la Cour a constaté que l'on avait bandé les yeux des requérants « au moins à des moments cruciaux, comme lors des interrogatoires et des confrontations avec M. Güven ». Elle y a vu un motif supplémentaire de conclure à la violation de l'article 3 de la Convention.
Plus récemment, la Cour a eu à connaître d'une autre affaire dans laquelle les gardiens d'un détenu l'avaient contraint à porter un capuchon. Dans l'arrêt qu'elle a rendu en l'affaire Öcalan c. Turquie, la Grande Chambre s'est exprimée ainsi : « le fait de bander les yeux d'un détenu, le rendant ainsi artificiellement aveugle pendant de longues périodes, réparties sur plusieurs jours, peut engendrer, combiné avec d'autres mauvais traitements, de fortes pressions psychologiques et physiques sur lui. La Cour doit examiner l'effet de ce traitement dans les circonstances particulières de chaque affaire (voir, mutatis mutandis, Salman c. Turquie [GC], no 21986/93, § 132, CEDH 2000-VII) ». Toutefois, la Grande Chambre n'a pas désapprouvé la conclusion de la chambre selon laquelle il était acceptable que le requérant ait dû porter un bandeau sur les yeux durant son voyage du Kenya vers la Turquie (requête no 46221/99, 12 mai 2005).
Enfin, la Cour a expressément censuré le fait d'obliger un détenu à porter une cagoule avec deux trous pour les yeux chaque fois qu'il quittait sa cellule pour s'entretenir avec son avocat ou les membres de sa famille ainsi que lors de ses transferts au tribunal et pendant les audiences. Elle y a vu un mauvais traitement emportant violation de l'article 3 de la Convention et a estimé que l'obligation de porter une cagoule imposée au requérant lui avait causé des sentiments d'angoisse, d'impuissance et d'infériorité propres à l'avilir ou à le rabaisser à ses propres yeux( Petyo Petrov c. Bulgarie, requête no 32130/03, 7 janvier 2010, § 46).
La position de la Cour peut donc se résumer comme suit : 1) l'encapuchonnement d'un détenu n'est admissible en aucune circonstance dans le cadre d'un acte de procédure - qu'il revête ou non un caractère judiciaire - tel qu'un interrogatoire ou une confrontation, 2) l'encapuchonnement, utilisé seul ou combiné avec d'autres méthodes coercitives, n'est pas autorisé lorsqu'il est susceptible de causer une pression psychologique et physique importante, 3) l'obligation imposée à un détenu de se couvrir le visage d'une cagoule avec deux trous pour les yeux est un traitement dégradant. Le fait d'imposer le port d'une cagoule dépourvue de trous l'est encore davantage.
2. La position du Comité pour la prévention de la torture
Dans son rapport sur une visite effectuée en Turquie en 2001, le CPT a indiqué qu'il ressortait de ses constats que l'application d'un bandeau sur les yeux des personnes retenues par la gendarmerie ou la police demeurait une pratique courante en Turquie et que les individus soupçonnés d'infractions à la législation sur les stupéfiants ou de terrorisme paraissaient y être particulièrement exposés. Il a relevé que cette méthode était en général appliquée au cours de l'« interrogatoire préliminaire » préalable à l'enregistrement d'une déposition officielle - c'est-à-dire au moment où le risque de mauvais traitements était le plus élevé - sans toutefois exclure que cette pratique pût être utilisée à un stade ultérieur. Certaines personnes ont déclaré au CPT qu'elles avaient été contraintes de signer des dépositions qu'on leur avait attribuées alors qu'elles avaient les yeux bandés. Dans son rapport, le CPT a indiqué qu'il ressortait clairement des informations recueillies au cours des années que, dans bon nombre de cas - voire dans la plupart d'entre eux - l'application d'un bandeau avait pour but d'empêcher les personnes concernées de reconnaître les agents des forces de l'ordre qui leur avaient infligé des sévices. Il a conclu que cette pratique était de nature à entraver sérieusement les poursuites pénales ouvertes contre les auteurs de tortures et de mauvais traitements.
Dans son rapport sur une visite effectuée en ex-République de Yougoslavie en 2008, le CPT a déclaré avoir reçu des témoignages concordants faisant état de la résurgence de la pratique consistant à encapuchonner les suspects lors de leur arrestation et au cours de leur transport vers les commissariats et, pour l'un d'entre eux, au cours de l'interrogatoire qui s'ensuivit.
Dans son rapport sur une visite effectuée en Espagne en 2007, le CPT a été encore plus clair, s'exprimant ainsi : « le CPT s'oppose fermement à la pratique des forces de l'ordre consistant à bander les yeux des personnes arrêtées ou à les encapuchonner. D'après l'expérience du CPT, ces pratiques visent le plus souvent à empêcher les personnes qui les subissent d'identifier les agents des forces de l'ordre qui leur ont infligé des mauvais traitements. Même en l'absence de sévices, l'application d'un bandeau sur les yeux d'une personne en détention - en particulier lorsqu'elle subit un interrogatoire ou est transférée d'un endroit vers un autre - est une forme de comportement oppressif dont les effets équivalent souvent, pour la personne concernée, à un mauvais traitement psychologique ». « Le CPT invite les autorités espagnoles à établir des règles claires pour la conduite des interrogatoires par les responsables de l'application des lois. (...) Ces règles devraient interdire expressément l'application d'un bandeau sur les yeux des personnes retenues par la police ou leur encapuchonnement, y compris pendant les interrogatoires. »
3. La position de l'Assemblée générale des Nations unies
Lors de sa 76e séance plénière, l'Assemblée générale des Nations unies a adopté l'Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement (A/RES/43/173), selon lesquels « l'expression « peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant » doit être interprétée de façon à assurer une protection aussi large que possible contre tous sévices, qu'ils aient un caractère physique ou mental, y compris le fait de soumettre une personne détenue ou emprisonnée à des conditions qui la privent temporairement ou en permanence de l'usage de l'un quelconque de ses sens, tels que la vue ou l'ouïe, ou de la conscience du lieu où elle se trouve et du passage du temps. »
4. La position du Comité des Nations unies contre la torture
Le Comité a donné aux Etats un certain nombre d'indications sur les pratiques pouvant à ses yeux être qualifiées d'actes de torture. L'encapuchonnement figure au nombre de ces pratiques.
Dans ses observations finales concernant la Turquie (UN Doc. A/48/44, Add. 1), le CAT a recommandé que l'application d'un bandeau sur les yeux des personnes subissant un interrogatoire soit explicitement interdite.
Dans ses observations finales concernant Israël (Un. Doc. A/52/44), le CAT a jugé que les méthodes d'interrogatoire telles que le fait de recouvrir d'une cagoule la tête des détenus portaient atteinte aux obligations imposées à Israël en tant que partie à la Convention contre la torture, emportaient violation de l'article 16 de cet instrument et s'analysaient en des actes de torture au regard de l'article premier de ce texte. Les conclusions du Comité donnent à penser que certaines des techniques d'interrogatoire employées isolément par Israël pouvaient être qualifiées d'actes de torture, bien que le Comité n'ait pas précisé lesquelles d'entre elles méritaient cette qualification. Tout en reconnaissant qu'Israël était placé devant un « terrible dilemme (...) en raison des menaces terroristes qui pèsent sur sa sécurité », le Comité a relevé que la Convention contre la torture énonce que les Etats ne peuvent invoquer l'existence de circonstances exceptionnelles pour commettre des actes de torture. En conséquence, le CAT a recommandé à Israël de mettre « immédiatement » fin à l'emploi des méthodes d'interrogatoire litigieuses, y compris l'utilisation de cagoules.
5. La position du Comité des droits de l'homme des Nations unies
Dans ses observations finales concernant Israël (CCPR/C/79/Add.93), le Comité des droits de l'homme s'est exprimé ainsi : « Le Comité prend note du fait que la délégation de l'Etat partie a admis que les méthodes consistant à passer les menottes aux suspects, à les encapuchonner, à les secouer et à les priver de sommeil ont été et continuent d'être utilisées, seules ou en association, lors des interrogatoires. Il estime que les directives peuvent donner lieu à des abus et que l'emploi des méthodes décrites constitue une violation de l'article 7 du Pacte en toute circonstance. Le Comité souligne que l'article 7 du Pacte interdit la torture et toutes les formes de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et qu'il ne peut y être dérogé. Le Comité prie instamment l'Etat partie de cesser de recourir aux méthodes susmentionnées. Si une loi autorisant des méthodes d'interrogatoire est promulguée, elle devrait expressément interdire toutes les formes de traitement prohibées en vertu de l'article 7 ».
Le Protocole d'Istanbul (autrement dénommé « Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peine ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ») soumis à l'attention du Haut commissaire aux droits de l'homme par plusieurs ONG et personnalités éminentes énonce également que la privation des stimuli sensoriels normaux tels que le son et la lumière est une forme de torture.
Par ailleurs, dans les affaires péruviennes, le Comité a critiqué de manière répétée les tribunaux « sans visage » ou « anonymes » au motif que les accusés ne connaissaient pas l'identité de leurs juges. Dans les affaires en question, les juges avaient été autorisés à se couvrir le visage pour préserver leur anonymat et éviter des représailles de la part de groupes terroristes (affaires Polay C. Pérou, 577/94 ; et Gutierrez Vivanco c. Pérou, 678/1996).
6. La position de la Cour interaméricaine et de la Commission interaméricaine
Dans un rapport du 9 septembre 1985 sur la pratique du gouvernement chilien en matière de droit à la liberté individuelle (OEA/Ser.L/V/II.66, Doc.17), la Commission interaméricaine a conclu que, dans un grand nombre de cas, les garanties minimum prévues par la législation chilienne et par le droit international en matière d'arrestations n'étaient pas respectées. Cette conclusion était due notamment aux « méthodes employées par les agents procédant aux arrestations, qui, selon le rapport, se livraient à des actes d'une extrême violence et plaçaient les individus arrêtés dans une situation d'impuissance totale en les encapuchonnant et en les désorientant pendant le trajet vers le lieu de détention. »
Dans un autre rapport du 22 octobre 2002 sur le terrorisme et les droits de l'homme (OEA/Ser.L/V/II.116), la Commission interaméricaine a indiqué que, même s'il n'était pas possible de rendre compte de manière exhaustive du type de conduite susceptible de constituer de la torture ou des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, on pouvait trouver dans la jurisprudence interaméricaine des exemples d'actes s'analysant en traitements inhumains, en général ou dans le contexte particulier des interrogatoires et de la détention. Elle a notamment cité les exemples suivants : « imposition pendant la détention en cellule de l'encapuchonnement et du dénudement et interrogatoires sous pentothal », « encapuchonnement et brûlures à la cigarette ».
La Cour interaméricaine a également jugé que le fait d'encapuchonner un détenu et de le soumettre au son d'une radio allumée à plein volume constituait une torture psychologique (affaire Urrutia c. Guatemala, 27 novembre 2003, no 58.6, 94 et 103).
7. La position du Comité international de la Croix-Rouge
Dans son rapport de février 2004 « sur le traitement réservé par les forces de la coalition aux prisonniers de guerre et autres personnes protégées par les Conventions de Genève en Irak durant l'arrestation, l'internement et l'interrogatoire », le CICR a appelé l'attention des forces de la coalition sur plusieurs violations graves du droit international humanitaire. Ces violations avaient pour certaines été rapportées et pour d'autres observées lors de visites en Irak de prisonniers de guerre, de détenus civils et d'autres personnes protégées par les conventions de Genève entre mars et novembre 2003. Lors de ses visites dans les lieux de détention des forces de la coalition, le CICR avait recueilli au cours d'entretiens privés des allégations de personnes captives concernant le traitement infligé à des personnes protégées pendant leur capture, leur arrestation, leur transfert, leur internement et les interrogatoires qu'elles avaient subis.
Le CICR s'est montré très critique à l'égard de l'encapuchonnement. Il a noté qu'il était l'une des méthodes de mauvais traitements les plus fréquemment rapportées par les détenus, utilisée pour les aveugler, les désorienter et gêner leur respiration : un sac, parfois deux, était passé sur la tête des détenus, éventuellement avec un bandeau élastique au niveau des yeux, et, une fois descendu, il les empêchait de respirer normalement ; cette pratique était parfois utilisée en combinaison avec des passages à tabac pour intensifier la peur des victimes, qui ne pouvaient pas savoir à quel moment les coups allaient tomber. L'encapuchonnement permettait également aux interrogateurs de garder l'anonymat et ainsi d'agir en toute impunité. Les capuchons auraient été laissés en place de quelques heures à quelques jours (deux à quatre jours d'affilée), pendant lesquels ils n'auraient été soulevés que pour permettre aux détenus de boire, de manger ou d'aller aux toilettes. Au vu de ces témoignages, le CICR a demandé aux autorités des forces de la coalition en Irak de respecter en tout temps la dignité humaine, l'intégrité physique et la sensibilité culturelle des personnes qu'elles détenaient.
8. La position du Rapporteur spécial sur la question de la torture
Dans son rapport sur sa visite en Espagne (5-10 octobre 2003), le Rapporteur spécial sur la question de la torture, Theo van Boven, a noté que les anciens détenus avaient cité, parmi les traitements subis en détention au secret, l'encapuchonnement. Il a recommandé expressément que chaque interrogatoire commence par l'identification de toutes les personnes présentes et soit enregistré, de préférence sur une vidéo dans laquelle serait mentionnée l'identité de toutes les personnes présentes. Il a ajouté que les pratiques d'aveuglement et d'encapuchonnement devaient être expressément interdites.
Cette recommandation est conforme à la position exprimée par le précédent Rapporteur spécial sur la question de la torture, Nigel S. Rodley, dans son rapport soumis en application de la résolution 1995/37 B de la Commission des droits de l'homme (E/CN.4/1997/7).
9. La position du Département d'Etat et du Département de la Défense des Etats-Unis
Le Département d'Etat américain a qualifié l'aveuglement avec un bandeau sur les yeux des détenus de torture (Rapport de pays de 2005 sur la pratique en matière de droits de l'homme - Egypte). La dernière version du manuel à l'intention des militaires sur le terrain ( Army Field Manual ) interdit désormais expressément l'usage de certaines techniques d'interrogatoire, comme le simulacre de noyade appelé « planche à eau » ( water boarding ), l'encapuchonnement, la privation de sommeil ou la station debout prolongée.
10. La position du Groupe international d'experts médico-légaux
Le Groupe international d'experts médico-légaux sur la torture a été créé en 2009 par le Conseil International de Réhabilitation pour les Victimes de Torture (IRCT) en partenariat avec le département de médecine légale de l'Université de Copenhague. Il est composé de 33 éminents experts médico-légaux de 18 pays différents ayant une grande expérience de l'évaluation et du recensement des cas de torture et de mauvais traitements. Ces experts indépendants participent aux enquêtes menées sur les allégations de torture et de mauvais traitements et établissent des rapports médico-légaux impartiaux et des attestations relatant leurs conclusions. L'avis qu'ils ont exprimé sur l'encapuchonnement repose sur le recensement qu'ils ont fait des effets physiques et psychologiques de cette pratique et des autres formes analogues de privation sensorielle sur des milliers de détenus qu'ils ont personnellement examinés.
Les experts ont conclu que l'encapuchonnement et les autres pratiques équivalentes étaient des formes intentionnelles de privation sensorielle constitutives de peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants, qui devraient être interdites aussi bien en interrogatoire qu'en détention. Ils ont précisé que lorsque l'encapuchonnement était combiné avec d'autres actes pouvant être considérés comme des peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants, il pouvait constituer un acte de torture.
II. L'affaire
1. Le requérant a été détenu par la police dans un immeuble privé à Urnäsch (Suisse). Les policiers l'ont attrapé par surprise, l'ont immédiatement jeté à terre et lui ont menotté les chevilles et les poignets, mains dans le dos. Ils l'ont ensuite interrogé au sujet d'objets trouvés sur place. Après l'avoir interrogé, ils lui ont mis sur la tête un capuchon qui l'aveuglait totalement. Ils l'ont ensuite emmené au poste de police de Hesinau, où il a subi un interrogatoire destiné à lui exposer les accusations dont il faisait l'objet et à confirmer son placement en détention.
Pendant l'interrogatoire, le requérant était toujours encapuchonné et menotté aux poignets et aux chevilles, sauf lorsque les policiers lui ont proposé de signer un document. Enfin, il a été transféré au poste de police de Trogen, où le capuchon et les menottes lui ont été retirés.
L'interrogatoire( Einvernahme ) a été mené au poste de police de Herisau devant un juge d'instruction ( Verhörrichter ), qui remplaçait le juge d'instruction compétent ( im Auftrag des zuständigen Verhörrichters ). Le procès-verbal de l'interrogatoire ( Einvernahmeprotokoll ) ne mentionne ni l'heure à laquelle il a commencé ni celle à laquelle il a pris fin. Le requérant a été officiellement accusé par le juge, qui lui a demandé s'il comprenait les charges retenues contre lui et l'a informé qu'il serait transféré à Thurgau ( Herr Portmann, Sie wurden am heutigen Abend, am Mittwoch, den 10. März 1999, 19:45 Uhr, in Urnäsch AR, Egg, durch die Polizei angehalten und festgenommen. Im Auftrag des zuständigen Verhörrichters, Herr (...), werden Sie wegen dringenden Verdacht der Verübung von Straftaten in Haft genommen und anschliessend dem Polizeikommando Thurgau in Frauenfeld TG zugeführt. Nehmen Sie dies zur Kenntnis? ). Le requérant a répondu par l'affirmative. A la question du juge qui lui demandait s'il avait quelque chose à ajouter, il a répondu non. Il a refusé de signer le procès-verbal de l'interrogatoire. Le juge a maintenu son placement en détention.
2. Le requérant a introduit une plainte pénale relativement aux traitements dont il avait fait l'objet et en particulier à son encapuchonnement. Le procureur d'Appenzell Ausserhoden a rejeté cette plainte par une décision du 3 mai 2006, confirmée par le procureur du canton le 24 juillet 2006 puis par le Tribunal fédéral le 8 septembre 2006.
Le procureur et le Tribunal fédéral affirment clairement que le requérant a été détenu, transféré et interrogé officiellement par un juge et que pendant l'interrogatoire, il portait un capuchon sur la tête( Auch Hugo Portmann wurde mit einer Kapuze ausgerüstet. Er wurde auch gefesselt und dann ein erstes Mal einvernommen. Danach wurde er ins Untersuchungsgefängnis Trogen verbracht. Dort wurden ihm Kapuze und Fesselung abgenommen ). Les termes employés par le procureur à cet égard sont impressionnants : « Il ressort de la plainte que, la première fois que le juge d'instruction a interrogé Hugo Portmann, celui-ci était encapuchonné. Cette mesure était probablement une précaution excessive. » ( Dass Hugo Portmann gemäss Anzeige vor dem Haftrichter mit übergezogener Kapuze ein erstes Mal befragt worden ist, mag möglicherweise übervorsichtig gewesen sein.).
De plus, le Tribunal fédéral lui-même a admis qu'il « [pouvait] être vrai que cette mesure de police [avait] été appliquée pendant une durée relativement longue » ( Es moege richtig sein, dass die Dauer dieser polizeilichen Massnahme relativ lang gewesen sei ) et qu'elle était « rigoureuse et sévère » ( konsequent und hart ).
III. Conclusion
1. L'encapuchonnement du requérant était dépourvu de fondement. De fait, ni les autorités nationales ni le Gouvernement n'ont avancé la base juridique de cette mesure invasive, et ce tout simplement parce qu'il n'y en avait pas. Au contraire, la doctrine considérait expressément que la pratique consistant à encapuchonner les détenus pendant les interrogatoires était inadmissible (voir à ce sujet le texte fondamental de Gérard Piquerez publié quelques mois après les faits en cause in Procédure Pénale Suisse, Traité théorique et pratique, Zurich, Schulthess, 2000, pp. 429-430, où l'auteur observe de manière remarquablement claire que « la conduite de l'interrogatoire exige [...] que le juge n'utilise que des moyens conformes au respect de la dignité de la justice et qui ne portent pas atteinte à la personnalité ou à l'intégrité de l'inculpé. (...) Les procédés interdits : traitements inhumains ou dégradants tels que les « techniques de démantèlement ou de privation sensorielle » interdites par l'article 3 CEDH » - l'auteur est même encore plus précis à la note 57, où il donne quelques exemples : « Comme par exemple des techniques qui consistent à encapuchonner les prévenus (...) »).
2. Même s'il avait eu une base légale, ce qui n'était pas le cas, l'encapuchonnement aurait été inutile dans les circonstances particulières de l'espèce, le détenu ayant en tout temps les menottes aux poignets et aux chevilles. Le Gouvernement allègue que les policiers ont encapuchonné le requérant « pour se protéger et éviter une mise en danger [de l'intéressé] et d'eux-mêmes ». La majorité a considéré que les mesures prises par la policeétaient « appropriées » et elle a estimé que « le port du capuchon était en l'espèce un moyen utilisé à la fois pour réduire la liberté d'action de la personne arrêtée et pour préserver l'anonymat des agents de police et, partant, les protéger contre d'éventuels actes de représailles par la suite ». Ces arguments semblent suggérer que les mesures en cause étaient admissibles de par leur nécessité et leur proportionnalité, mais ils ne sont pas convaincants. Le requérant a été attrapé par surprise, il a été immédiatement jeté au sol et on lui a passé les menottes aux chevilles et aux poignets, mains derrière le dos. Dès le moment où il s'est trouvé à terre pieds et poings liés, il n'avait plus aucune liberté d'action et n'était plus en mesure de mettre en danger ni lui ni les policiers. D'autre part, si les policiers souhaitaient rester anonymes, ce sont eux qui auraient dû porter des cagoules pendant la détention et le transfert, ce qu'ils n'ont pas fait. Le fait qu'ils aient opéré à visage découvert et qu'ils aient même parlé au requérant avant de l'encapuchonner montre bien qu'ils ne se préoccupaient nullement de leur anonymat. En bref, l'encapuchonnement imposé par la police au requérant était tactiquement inutile et juridiquement disproportionné.
3. L'utilisation d'une telle mesure, invasive, illégale, inutile et disproportionnée, ne peut s'expliquer que par l'intention d'humilier le détenu. Cette intention se déduit ici purement et simplement des faits, pour lesquels la seule explication raisonnable est la volonté de rabaisser le requérant. Cela étant, même si les autorités n'avaient pas eu l'intention de l'humilier, il reste que la méthode qu'elles ont employée était en elle-même objectivement dégradante et qu'elle a été ressentie comme telle par l'intéressé.
4. L'encapuchonnement des détenus est en soi un traitement inhumain et dégradant, ainsi que la Cour et les multiples autorités judiciaires, politiques et médicales citées ci-dessus l'ont déclaré à plusieurs reprises. Comme la Cour l'a également dit, il suffit que la victime ressente la mesure comme une humiliation, même si d'autres ne la voient pas ainsi (voir Raninen c. Finlande, 16 décembre 1997, § 55, et Petyo Petrov c. Bulgarie, no 32130/03, 7 janvier 2010, §§ 33 et 46).
Dans ce cas particulier, la violation des droits de l'homme est renforcée par le fait que l'intéressé était menotté aux poignets et aux chevilles, que l'encapuchonnement a duré plus de deux heures et qu'il lui a été infligé non seulement pendant sa détention et son transfert vers un lieu sécurisé, mais encore devant un juge, pendant un interrogatoire dont le but était de lui exposer les accusations dont il faisait l'objet.
5. Les mots Einvernahme, Einvernahmeprotokoll et einvernommen ont une signification juridique très claire en allemand : il s'agit respectivement de l'interrogatoire, du procès-verbal de l'interrogatoire et de la personne interrogée. Manifestement, les autorités nationales les ont ici employés conformément à leur signification juridique. Le juge suisse a agi en qualité de « juge de l'arrestation », Haftrichter, avec tous les pouvoirs correspondants pour contrôler et prolonger le placement en détention du requérant. Le Gouvernement lui-même a reconnu la nature de l'interrogatoire aux fins de l'article 5 § 2 de la Convention (voir les observations du Gouvernement, no 14 page 7).
Il est vrai que le juge n'a pas mené l'interrogatoire plus loin que la présentation des charges et l'information relative au transfert du détenu vers un autre poste de police, mais cette circonstance est simplement due au fait que l'intéressé a fait usage de son droit fondamental de garder le silence. L'exercice d'un droit fondamental tel que le droit de garder le silence pendant un interrogatoire judiciaire ne change pas la nature juridique de l'interrogatoire en question et n'amenuise pas son importance pratique pour la protection des droits du détenu. Toute interprétation qui distinguerait les « vrais » interrogatoires des « faux » selon le nombre de questions auxquelles le détenu a répondu serait la porte ouverte à une dégradation manifeste du niveau de protection des détenus pendant les interrogatoires. Une telle approche quantitative de la nature de l'interrogatoire pourrait ouvrir la voie à une manipulation tortueuse des garanties accordées au détenu : il suffirait alors de limiter au strict minimum le dialogue entre le juge et le détenu. En bref, l'interprétation restrictive de la notion d'interrogatoire judiciaire en fonction du nombre de questions auxquelles le détenu aurait répondu serait contraire à l'objet de la garantie apportée par la Convention. Il s'ensuit que le requérant a été officiellement interrogé par un juge aux fins du contrôle et de la prolongation de son placement en détention et que toutes les garanties conventionnelles pouvaient et devaient s'appliquer à cet acte judiciaire.
Au lieu de cela, le détenu a été placé en situation de faiblesse au moyen d'une désorientation et d'une privation sensorielle. I l a également été privé du droit de voir son juge et de le regarder dans les yeux. Pour reprendre les mots de Gérard Piquerez, on a gravement porté atteinte à la « dignité de la justice », et ainsi remis sérieusement en question l'autorité du pouvoir judiciaire. Lorsque les juges sont prêts à agir de cette façon, l'état de droit a depuis longtemps déserté le tribunal.
6. Ainsi, l'encapuchonnement du requérant n'était pas seulement une « précaution excessive », et il n'était pas seulement « long », « rigoureux » et « sévère », comme l'ont estimé les autorités nationales. Il était aussi inutile et constitutif d'une violation manifeste et flagrante de la dignité de la personne détenue. Pour ces motifs, il était contraire à l'article 3 de la Convention.

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références

Article: Art. 3 CEDH